Il ne se passe pas un jour, hélas, sans qu’un drame ne survienne en mer Egée ou en Méditerranée. Depuis le 1er janvier, près de 300 personnes, dont de nombreux enfants, ont trouvé la mort au large des côtes grecques. Inacceptable!
Au début du mois de septembre dernier, la photo du corps du petit Aylan retrouvé noyé sur les côtes grecques a ému le monde. L’innocence assassinée par des passeurs sans scrupules, profitant de la misère humaine pour s’enrichir, mais aussi par un attentisme politique. Depuis, le nombre d’enfants et d’adultes qui ont perdu la vie en tenant de fuir la guerre et de vivre en sécurité n’a fait qu’augmenter. Et comme toujours, hélas, ce qui devient fréquent devient… ordinaire! Jusqu’où laissera-ton cette tragédie se poursuivre?
Car la situation s’aggrave chaque jour. En Europe, nombreux sont les pays qui ferment leurs frontières, se barricadent derrière des murs de barbelés censés donner un signal clair aux réfugiés: « nous ne voulons pas de vous! » Les quotas de répartition des réfugiés dans les 27 pays de l’Union européenne, pourtant acceptés par les chefs d’Etat et de gouvernement, semblent être passés aux oubliettes, démontrant par là-même l’incapacité de la Commission européenne et du Président du Conseil européen, Donald Tusk, à faire parler d’une même voix une Union qui semble se fissurer et en revenir aux nationalismes qui, dans le passé, ont tristement marqué l’histoire du continent. Il faut dire que la Pologne, dont Donald Tusk a été le Premier ministre, est en première ligne dans le refus d’accueillir des migrants.
Des chiffres qui ne peuvent laisser indifférents
Or, les chiffres parlent d’eux-mêmes: au total, les arrivées de migrants par la Méditerranée en Europe se sont élevées à 46.240 depuis début janvier, dont 44.040 sont passées par la Grèce et 2.200 par l’Italie, selon le Haut Commissariat des réfugiés des Nations unies. Par ailleurs, toujours selon le Haut-commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR), quelque 68.000 migrants sont parvenus à traverser la mer Egée pour entrer en Grèce depuis le début de l’année. Quant à l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), elle a recensé de son côté 284 décès de migrants pendant la même période sur cette route. Cela suffit.
La guerre en Syrie a fait 400.000 morts, des centaines de milliers de blessés et des millions de déplacés en cinq ans. Actuellement, des dizaines de milliers de Syriens, fuyant Alep bombardée par l’aviation russe, sont massés à la frontière turque, mais Ankara refuse de les laisser entrer sur son territoire. Le président Erdogan a dit s’attendre à voir jusqu’à 600.000 civils se masser aux portes de la Turquie si l’offensive contre Alep ne prenait pas fin. Mais ce qui est inadmissible, c’est que ce chef d’Etat, excédé par les appels à ouvrir sa frontière turque aux nouveaux réfugiés syriens, a menacé ce jeudi d’expédier vers l’Europe les centaines de milliers qui sont déjà en Turquie. Il a ainsi de facto confirmé la réalité d’un marchandage controversé qui a fuité dans la presse entre lui, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, et le président du Conseil européen, Donald Tusk sur le sort des migrants si son pays ne reçoit pas une somme satisfaisante pour les héberger sur son sol. Chantage inadmissible que l’Europe doit contrer car il ne faut pas oublier que l’UE a proposé une aide financière de 3 milliards d’euros pour que le pays d’Ataturk garde chez lui ces réfugiés que l’Europe ne veut pas voir.
Intolérable
Ce jeudi, l’OTAN a décidé de s’engager en mer Egée pour lutter contre les réseaux de passeurs. Réunis à Bruxelles, les ministres des Affaires étrangères des pays membres de l’Alliance atlantique ont annoncé que l’organisation mènera une mission de surveillance frontalière en mer Egée. Une première pour l’OTAN. Concrètement, le Conseil de l’Atlantique Nord qui réunit les 28 pays membres de l’Alliance, a mandaté les autorités militaires qui soumettront des options au Conseil militaire de l’Otan, puis au Conseil de l’Atlantique nord, l’instance de décision politique, qui donnera alors son feu vert. Est-ce une petite éclaircie? Pas sûr, au vu des résultats de l’opération Frontex de l’UE. On peut craindre que cela ne résoudra pas le problème.
Ne mâchons pas nos mots: si la situation n’était pas aussi dramatique sur le plan humanitaire, on pourrait la qualifier de pitoyable. Elle est tout simplement scandaleuse, immorale et intolérable car c’est d’êtres humains dont il s’agit!
Lors de son discours de Nouvel An aux diplomates accrédités auprès du Vatican, le pape François s’est exprimé sur la crise migratoire, rappelant que « les images des enfants morts en mer resteront toujours imprimées de façon indélébile dans nos esprits et dans nos cœurs. » Si le pape a reconnu les difficultés de l’Europe face à l’afflux des migrants, il a fustigé l’attitude des responsables politiques européens. « Les débarquements massifs sur les côtes du Vieux continent semblent faire vaciller le système d’accueil construit avec peine sur les cendres du second conflit mondial », a-t-il souligné, tout en saluant l’engagement des pays qui ont ouvert leurs portes, notamment la Grèce et l’Italie.
Pour que ce drame ne se poursuive pas dans l’indifférence générale, il est impératif de réunir une « table ronde » mondiale pour discuter des pistes pouvant mettre fin aux souffrances de tant de personnes. Vieux pieux? Utopie? Non! Ce serait faire preuve de courage et de respect de la dignité à laquelle chaque être humain a droit. Et parallèlement, il faut expliquer aux citoyens que l’accueil des réfugiés est un devoir – comme l’a redit à plusieurs reprises le pape – et que ces personnes peuvent contribuer à notre bien-être. Y compris chez nous: quelle est la voix, dans le monde politique belge, qui s’est élevée pour le dire? Cassons-les clichés. Agissons. Sinon, nous perdrons notre âme.
Jean-Jacques Durré