Educateur et islamologue, Bernard De Vos connaît le monde de l’enfance, pour ne l’avoir jamais quitté. Entretien à bâtons rompus avec le délégué général aux Droits de l’Enfant de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
A l’heure où tant de mineurs quittent leur pays en rêvant d’un monde meilleur en Occident, Bernard De Vos revient sur cette notion d’accueil inhérente, en théorie, à la Belgique. Mais qu’en est-il dans la pratique? Une mise au point sans tabou.
La Convention des Droits de l’Enfant existe depuis 25 ans aujourd’hui. Etait-ce nécessaire?
Pratiquement tous les pays du monde en sont signataires. Les droits de l’enfant sont un moteur d’amélioration de nos sociétés. Pour moi, les droits sont prioritaires. Commençons par respecter nos enfants pour espérer, qu’à leur tour, ils respectent leur environnement et leurs enfants si, éventuellement, ils en ont.
En 25 ans, les plaintes enregistrées ont-elles évolué?
Oui. Les statistiques sont très liées à ce que l’institution peut montrer. Il y a deux types de questions qui sont très présentes depuis quelques années: les questions scolaires et celles de migration. Tous ces drames humains sont incroyables, avec des enfants qui font des parcours insensés à travers les mers ou des territoires déserts, dans le froid, la chaleur et qui arrivent ici dans des situations vraiment déplorables.
Comment voyez-vous la situation des MENA, ces mineurs étrangers non accompagnés?
Cette situation est très inquiétante. En 2015, 5.000 mineurs étrangers non accompagnés ont été signalés. 15% des MENA qui demandent l’asile ont moins de 15 ans et 69% entre 15 et 16 ans. Ici, on est avec des tout-petits de 9-10 ans qui ont eu des histoires de vie incroyables, qui sont traumatisés et ont des soucis psychologiques vraiment très importants. Il y a un enjeu terrible de bien les accueillir. Et c’est vrai que j’ai dû, à plusieurs reprises, faire état de certaines situations qui me paraissaient être des violences institutionnelles faites à ces enfants.
Précisément, qui vous prévient?
Nous sommes à Molenbeek. Je voulais que tout le monde puisse s’adresser à l’institution: les enfants en priorité, mais aussi des parents, des voisins, des enseignants, des responsables d’éducateurs de milieux ouverts, des éducateurs de maisons de jeunes, des animateurs… tout le monde peut contacter le délégué général. Beaucoup de personnes ne sont pas informées des lieux où elles peuvent avoir une aide immédiate et de proximité.
Le monde politique a-t-il une perception réelle de la situation des MENA?
Je me méfie de l’idée que le monde politique soit un monde monolithique. C’est un monde avec des appréciations humaines très variées. Les responsables sont toujours limités à des modèles qu’ils connaissent. Et c’est la responsabilité de certains acteurs, dont je fais partie, de rappeler ces réalités parce que, forcément, ils n’ont pas aussi souvent l’occasion, comme je peux le faire, d’aller sur le terrain, de rencontrer les familles, les enfants, de parler avec eux et de se rendre compte de la difficulté dans laquelle ils sont. Je suis scandalisé de savoir que 150 à 200 mineurs étrangers non accompagnés sont hébergés par la Croix-Rouge. Tout ce qui est nécessité pour l’enfant, le côté relationnel, psychologique, scolarisation, accès aux jeux, à la culture est gommé. Les politiques ne comprennent pas que les premiers jours, quand on arrive dans un pays, l’accueil va conditionner une bonne partie de votre comportement pendant des années. Les moyens ne sont pas là pour avoir un accueil personnalisé et un accueil de qualité. Et j’en suis effectivement terriblement déçu.
Notre société manque-t-elle d’humanité?
Oui, clairement. Au niveau légal, l’Etat belge ne peut rien se reprocher. Ils ont un lit, à manger et à boire, mais ces enfants ne sont pas accueillis comme ils devraient l’être.
Votre licence en islamologie et sciences orientales vous aide-t-elle dans l’approche de la radicalisation?
Avoir accès à la culture des peuples musulmans, connaître un peu le fonctionnement des institutions, quelques bribes de la langue, ça me permet de faciliter une série de contacts avec des familles qui sont concernées directement parce que leur enfant est parti ou est revenu et est en difficulté. Ça me permet d’avoir plus d’aisance pour répondre aux appels des responsables politiques ou administratifs qui se posent des questions.
Qu’est-ce qui vous a poussé à entreprendre ces études à 37 ans?
J’ai été élevé dans la religion chrétienne par mes parents. J’ai pris quelques libertés avec cette religion dans la pratique journalière et quotidienne, mais le fait religieux est une partie de moi. Quand j’ai commencé comme éducateur de rue, il y avait très peu de jeunes issus de l’immigration. J’ai aussi travaillé un bout de temps pour Médecins sans Frontières et j’ai été dans des pays musulmans où l’accueil avait justement quelque chose de particulier, très chaleureux. Je suis islamologue, mais je ne suis pas du tout musulman. Je ne me considère d’ailleurs plus comme chrétien ni comme catholique, pour dire les choses clairement.
Quelles sont les traditions éducatives et culturelles qui posent problème?
Il y a quatre sujets qui reviennent de manière récurrente: le port du voile, la nourriture halal, le Ramadan et l’abattage rituel. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise éducation, il faut savoir s’accorder sur certains principes. On ne peut pas, dans un même lieu, éduquer de manière complètement différente nos enfants, si on veut faire en sorte qu’ils aient une vie commune et respectent une espèce de vivre ensemble cohérent.
Dans ce cadre-là, il faut une éducation à l’égalité homme-femme.
C’est évident qu’une formation à l’égalité est nécessaire. La manière dont elle a été amenée par le secrétaire d’Etat était extrêmement maladroite. Je ne pense pas que ça doit être une formation spécifique mais faire partie d’un socle de formations, d’informations, de sensibilisation qui doit être délivré à toute personne migrante qui arrive chez nous. Le statut de la femme est plus enviable chez nous qu’elle ne peut l’être dans d’autres pays du monde, mais de là à dire que tout est parfait chez nous… Il faut travailler sur l’évolution des traditions éducatives.
Vous pointez souvent un manque d’équité dans l’enseignement.
L’école devrait être gratuite, mais elle ne l’est pas. Et je souhaite vraiment qu’elle le devienne rapidement en mettant peut-être une priorité sur l’enseignement maternel. Quand des parents n’arrivent pas à payer ce que l’école demande, forcément, on se met en retrait. Cela provoque vraiment une pollution pédagogique. Deuxième grosse difficulté: le phénomène de relégation que l’on connaît. Il y a une espèce de déglingue qui, pour moi, n’est pas supportable. On peut pointer notamment, souvent en milieu urbain, que certains enfants, qui ne souffrent d’aucun handicap, sont relégués dans l’enseignement spécialisé, qui est un enseignement de grande qualité, mais où les enfants qui n’ont pas de handicap, ni physique ni mental, n’ont rien à faire. Ce sont des enfants qui ont des problèmes d’accès à la culture scolaire, parce qu’ils viennent d’un milieu particulièrement précaire et peu privilégié.
Pour réformer l’école, vous envisagez un pacte que vous nommez sacré.
Il faut dix ans pour réformer un système scolaire. Et les pays qui l’ont fait, l’ont fait avec un accord de tous les partis politiques entre eux. C’est impensable d’imaginer qu’un ministre qui prendra des décisions pour réformer en profondeur soit à la merci d’un vote négatif aux prochaines élections. Ça demande un courage politique. J’ai demandé une espèce de pax romana ou pacte sacré entre tous les partis pour essayer de réformer notre école en profondeur, parce qu’on en a terriblement besoin pour essayer d’amoindrir le plus possible le poids des inégalités.
Propos recueillis par Angélique TASIAUX et Jean-Jacques DURRÉ
Extrait de l’émission « En débat » à écouter en podcast sur RCF Liège (www.rcf.be).