140 producteurs laitiers européens, dont 18 belges, se sont rendus ce 27 janvier au Vatican pour rencontrer le pape François et lui parler de leur quotidien difficile. Ces membres de l’European Milk Board (EMB) réclament de toute urgence une régulation des marchés.
Notre pape est un homme humble, simple et très ouvert aux questions sociales. Comme nous avions déjà épuisé toutes nos énergies au niveau européen, nous voulions lui exposer la situation des producteurs de lait, dans l’espoir qu’il puisse défendre notre cause auprès des dirigeants européens », explique Guy Francq, président du MIG (la branche belge de l’European Milk Board). Agriculteur à Deux-Acren, dans le Hainaut, Guy Francq (photo) partage une exploitation avec sa belle-sœur et possède une septantaine de vaches laitières. L’année dernière, avec un prix de vente moyen de 25 centimes le litre, il a enregistré une perte de 18.000 euros, alors que son volume de production annuelle (400.000 litres) était inchangé par rapport à l’année précédente. « Il y a trente ans, nous vendions encore le lait au double de ce prix. Un veau laitier valait alors 300 euros. A présent, je le vends 50 euros. Par rapport à nos coûts de production, c’est vraiment dérisoire. Si nous ne sortons pas la calculette, nous ne réalisons pas qu’en travaillant dans l’étable, nous sommes en train de perdre notre capital. Des fermiers sont obligés de vendre leurs terres pour nouer les deux bouts. Et on se dirige vers des mois encore plus pénibles. On nous annonce pour le premier trimestre 2016 des prix qui vont descendre à 21 ou 22 centimes le litre. Comment voulez-vous continuer dans ces conditions? Actuellement, l’exploitant qui a la possibilité d’arrêter son activité a donc tout intérêt à le faire… malheureusement », constate l’agriculteur. Dans le message transmis au pape, les responsables de l’EMB lui ont fait part de leurs craintes pour la transmission de leurs exploitations aux prochaines générations: « Ce n’est pas normal que tant de fermes qui ont connu trois ou quatre générations ne puissent pas passer le flambeau et doivent subitement cesser leurs activités », remarque le président du MIG. Pour subsister, Guy Francq a diversifié sa production (volailles, froment, betteraves…) et opté pour un engagement dans la coopérative laitière « Fairebel », qu’il a contribué à fonder. En plus du prix d’achat, Fairebel rétrocède 10 centimes par litre au producteur. Cette charge n’est pas portée par le consommateur mais par la grande distribution qui diminue sa marge bénéficiaire. En conséquence, le prix en magasin n’est pas plus élevé que pour des marques concurrentes et le producteur s’y retrouve. Guy Francq concède qu’il s’agit d’un commerce de niche mais note que le choix de cette filière équitable a été pour lui une alternative efficace aux manifestations qui pénalisent le consommateur. « Nous avons réalisé que nous devions nous allier au consommateur pour définir des normes de prix et de qualité dans lesquelles chacun se retrouve. Au final, c’est au citoyen de choisir ce qu’il veut manger demain ».
Les raisons d’une crise
Les différentes réformes de la PAC (politique agricole commune) ont fait disparaître les mécanismes de gestion du marché du laitier jusqu’à aboutir à la fin pure et simple des quotas européens en avril dernier, après 30 ans de régulation.* « L’Europe a fait croire aux producteurs laitiers que la fin des quotas permettrait de produire davantage pour l’exportation et que la demande était importante. Beaucoup d’agriculteurs y ont vu une opportunité et ont investi massivement dans de plus grosses structures. La conséquence est que nous sommes aujourd’hui noyés dans la production de lait. Il y a beaucoup trop d’offre pour la demande », analyse Guy Francq. Pour préserver leurs marges bénéficiaires, des exploitations ont doublé leur cheptel. On trouve ainsi dans plusieurs pays d’Europe des fermes avec plusieurs centaines de vaches laitières. Le volume permet au fermier de s’assurer le même revenu mais aggrave le phénomène de surproduction et nuit à la qualité du lait. « Dans les exploitations de cette taille, il y a une concentration sur l’étable et les vaches ne vont plus à l’herbage. Le lait contient nettement moins de vitamines D, E et d’Omega 3, qui proviennent de la mise en prairie ».
Pour répondre au surplus de production, l’Europe a mis en place un système de stockage privé du lait qui est remis sur le marché tous les 210 jours. « Ce système ne fait le jeu que des grosses coopératives et des multinationales, pour qui le procédé est rentable. En abandonnant les quotas, on devait retomber dans une régulation correcte. Nous voulons bien suivre la demande du marché mais en gérant les volumes de manière anticipée. Actuellement, on produit à outrance sans régulation ». Les Pays-Bas, par exemple, ont augmenté leur production de 15% en seulement un an. Sur le marché européen « spot » les laiteries peuvent se procurer du lait à 13 ou 14 centimes le litre. Certaines laiteries abandonnent dès lors les agriculteurs locaux et n’achètent plus leur production. C’est la loi économique des marchés, mais qui a des conséquences catastrophiques pour les exploitations de taille plus modeste. Ce système tue également les producteurs africains qui achètent de la poudre de lait européenne à moindre coût que leur propre production. Face à ce principe aberrant, le MIG et SOS Faim ont développé un projet de mini-laiterie au Burkina Faso pour défendre la production de lait local et un système équitable. La crise du lait ne se limite pas à la Belgique, ni même à l’Europe. Les représentants de l’EMB nourrissent l’espoir que leur rencontre avec le pape François puisse être le déclencheur d’une prise de conscience à l’échelle internationale.
Manu VAN LIER
* Sources: Défis Sud, bimestriel de SOS Faim,
janvier 2016 – MIG: www.milcherzeuger.eu