L’évêque d’Anvers, Mgr Johan Bonny, a été choisi par ses pairs pour représenter la Conférence épiscopale belge au synode sur la famille. De retour de Rome, il nous livre ses impressions.
D’emblée, Mgr Bonny estime que c’était un bon synode. « La synodalité n’est pas facile surtout quand il s’agit de sujets aussi délicats et diversifiés dans le monde que le mariage et la famille », dit-il en précisant que les discussions ont été ouvertes, franches et, en finale, la publication d’un bon rapport.
Personnellement, comment vous êtes-vous préparé à ce synode? Avez-vous consulté des théologiens, avez-vous travaillé seul?
A deux reprises, Rome a envoyé une liste de questions à tous les diocèses du monde invitant tous les évêques à y impliquer leurs fidèles et leurs collaborateurs. Dans mon diocèse et comme tous les évêques de Belgique, j’ai demandé aux fidèles, aux conseils pastoraux, aux conseils diocésains d’étudier les questions et de préparer des réponses. J’ai lu des articles et des livres sur la famille, le mariage, les questions morales et éthiques d’aujourd’hui. Et il y a un an et demi, j’ai publié un texte personnel de préparation à ce synode. Puis, j’ai aussi parlé de ce thème tel qu’il se présente dans l’Eglise, avec des théologiens et des biblistes.
En conférence épiscopale, avez-vous eu quelques réunions qui se sont focalisées sur cette thématique-là afin d’entendre vos pairs?
Absolument. On en a parlé à plusieurs reprises et une fois par an, nous avons consacré deux journées de réflexion sur la famille. L’année passée, c’était deux journées avec des théologiens, des pasteurs, des familles qui ont participé à nos rencontres. Cela a été une bonne préparation du côté des évêques. Et moi, j’ai envoyé le texte que j’avais préparé à mes confrères évêques, responsables pour la famille, et à quelques théologiens pour savoir si c’était vraiment ce que je devais présenter pour la Belgique.
Avez-vous eu des surprises à la lecture des réponses aux questionnaires de consultation envoyés par le Vatican? Des thèmes sont-ils revenus de manière plus précise?
Il y a des thèmes qui reviennent tout le temps. Par exemple, au synode, nous avons bien fait en prêtant attention à la diversification des situations. Les temps ont changé pour les familles. Il y a le mariage classique, sacramentel mais à côté de cela, il y a plein d’autres réalités. Il faut faire attention à la diversification des situations dans le monde d’aujourd’hui. Pas seulement entre les pays et les continents mais aussi, ici, chez nous, dans notre société et dans notre culture. Ce qui m’a frappé aussi, c’est cette attente du côté des couples, des familles vis-à-vis de l’Eglise. Ils attendent une parole d’encouragement, de compréhension et d’écoute. Il y a tellement de blessures dans ce monde et tellement de douleurs aussi.
Avez-vous eu aussi des réactions un peu plus virulentes où, quelque part, il n’y avait pas de bienveillance par rapport à des familles blessées?
Oui. Ce n’est pas le premier synode auquel j’ai participé mais le premier comme évêque. Quand je travaillais à Rome pour l’unité des chrétiens, j’ai assisté à plusieurs synodes comme quelqu’un qui accompagnait les délégués fraternels, des représentants des autres Eglises chrétiennes. Or, c’est la première fois que j’ai entendu des évêques et des cardinaux parler avec autant de franchise. Ils disaient, discrètement, qu’ils n’étaient pas d’accord avec les propos du pape. Dans le petit groupe auquel je participais, il y avait plusieurs évêques africains. Des thèmes nous paraissent évidents dans le contexte du mariage; ils ne le sont pas pour eux. Cela a donné lieu à des réactions qui venaient du coeur plutôt que de la raison et qui pouvaient être très franches et parfois virulentes.
Diversité, proximité; avez-vous l’impression que le dialogue a pu être vécu au cours de ce synode entre les pères synodaux?
Oui, nous étions en communion. Le vote final reflète cette attitude. En fin de compte, même après les discussions, la grande majorité s’est dit qu’il fallait sortir avec un texte qui soit utile pour tout le monde.
Pour vous, le texte final, est-ce un compromis ou bien y-a-t-il quand même une ligne du pape François qui va traverser ce document?
C’est un compromis mais dans le bon sens ecclésial du terme. Il faut saisir ce qui est vrai dans la position des évêques et dans celles des autres. Ce n’est pas seulement un compromis stratégique mais plutôt une synthèse de ce que nous sentons être vrai chez les uns et chez les autres. Un texte qui ouvre aussi des portes, qui seront utiles au pape. Parce que, finalement, le synode ne décide pas, il offre au pape le résultat de ses réflexions.
Ce synode aura-t-il des incidences au niveau des conférences épiscopales dans les différents pays? Seront-elles amenées à aborder certaines thématiques pastorales?
Il devrait y avoir des incidences. S’il n’y en a pas, c’est que le synode aurait été inutile. Le synode n’est pas là pour nourrir des réflexions universelles qui n’intéressent personne. Il est là pour qu’au niveau local, dans chaque pays, dans chaque conférence épiscopale, on puisse poser la question: que doit-on faire pour aider nos familles? Il y a deux termes qui reviennent constamment dans le texte: préparation et accompagnement des couples au mariage et des familles. Quand je regarde mon diocèse et les autres diocèses également, il n’y a pas beaucoup de préparation au mariage et d’accompagnement. Comment améliorer la préparation au mariage? Qu’est-ce qu’un meilleur accompagnement des familles? Nous devrions à l’avenir investir davantage d’énergie dans ces deux approches.
Avez-vous le sentiment que l’Eglise a changé avec ce synode?
Dire que toute l’Eglise a changé, non. Mais quelque chose a changé. Pendant ce processus de deux ans, les questions et les réponses mais aussi l’exemple du pape François me donnent de l’espoir. C’est vraiment touchant de voir un pape qui essaie de convaincre, qui donne l’exemple, qui essaie aussi de trouver un nouveau langage, aussi bien au niveau verbal, des gestes concrets et qui veut quand même nourrir une nouvelle spiritualité, une nouvelle attitude pastorale dans l’Eglise. Cela fait du bien au coeur.
Nous allons bientôt entrer dans l’année de la Miséricorde. Le pape parle souvent de l’Eglise miséricordieuse et de la bienveillance.
Il en parle tout le temps. Il n’y a pas de discours sans qu’il parle de la miséricorde. Il y a cette belle expression qui est revenue dans le texte final du synode: le grand fleuve de la miséricorde. Et le fait que le synode ait eu lieu juste avant l’année de la Miséricorde, il y a aussi cette voie vers laquelle le pape François va continuer à réfléchir sur ce thème à la lumière de la miséricorde, à la bonté gratuite de Dieu.
Que retenez-vous du document final?
A côté de la Miséricorde, un autre mot revient à plusieurs reprises: discernement. C’est-à-dire éviter les généralisations. Discerner la meilleure voie pour telle personne ou telle famille dans leur situation. Où Dieu est-il à l’oeuvre dans la réalité concrète de telle personne, de telle famille ou de tel couple ? Qu’est-ce qui peut les aider maintenant à faire des pas en avant. Pas avec un idéal abstrait mais comment les aider à mieux discerner la volonté de Dieu. La joie de l’Evangile mais aussi la joie de l’Evangile dans leur vie. Il faut les accompagner concrètement à la lumière de l’Evangile et sur la voie de Jésus.
Entretien: Philippe Cochinaux, o.p.
Extrait de l’émission télévisée « Il était une foi », diffusée sur La Une (RTBF) le dimanche 1er novembre 2015. Rediffusion: Samedi 7 novembre 2015 à 10h30. A revoir sur le site www.cathobel.be