Que penser de l’affaire Vincent Lambert ?


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Que penser de l’affaire Vincent Lambert ?
Par La rédaction
Publié le - Modifié le
6 min

BELGAIMAGE-Vincent-LambertLa semaine dernière, nous avons publié la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme à propos de Vincent Lambert. Compte tenu de la complexité du dossier, il nous a paru indispensable d’analyser plus en profondeur celui-ci.

Le cas de Vincent Lambert, au-delà de la souffrance morale et physique qui touche les proches de cet homme de 38 ans, tétraplégique depuis 7 ans, est compliqué car il pose bien des questions et a soulevé des réactions de nombreux protagonistes. Pour bien comprendre cette affaire douloureuse, il faut remonter dans le temps. En septembre 2008, un grave accident de voiture plonge Vincent Lambert, âgé de 32 ans, dans un coma profond. Hospitalisé, il se réveille dans un état dit "pauci-relationnel", c’est-à-dire dans un état de conscience minimal, qui n’est pas tout-à-fait la même chose qu’un état végétatif.

Trois ans plus tard, son état n’a pas évolué et après un examen, un neurologue spécialiste des mécanismes de la conscience, conclut à "la persistance d’une perception émotionnelle et l’existence de possibles réactions à son environnement". Il encourage donc les proches et soignants à mettre en place un code de communication avec Vincent Lambert. Précisons que son état ne nécessite pas de traitement médical particulier, il doit simplement être alimenté et hydraté par une sonde de gastrostomie.

En 2013 débute le déchirement de la famille au départ d’une décision de l’hôpital visant à mettre fin à la vie du patient, avec l’accord de son épouse, qui n’en a pas parlé aux parents et à la fratrie de ce dernier. La décision médicale est collégiale. Motif: Vincent Lambert aurait manifesté des signes d’opposition à des actes de soins qui pourraient "suspecter un refus de vivre", selon l’équipe médicale. Démarre alors une saga judiciaire, avec des décisions de justice contradictoires jusqu’à la décision de la Cour européenne des Droits de l’Homme mettant un point final (?) au dossier: Vincent Lambert doit cesser d’être alimenté!

Les questions sont nombreuses. D’emblée, on ne peut pas considérer le cas de Vincent Lambert comme de l’acharnement thérapeutique. Il n’est pas sous respiration artificielle et ne dépend d’aucun appareillage pour vivre. En France, le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) a estimé que "le seul fait de devoir irréversiblement, et sans espoir d’amélioration, dépendre d’une assistance nutritionnelle pour vivre, ne caractérise pas à soi seul – soulignons, à soi seul – un maintien artificiel de la vie et une obstination déraisonnable".

Ce qu’a décidé la Cour, c’est que l’on arrête l’alimentation et l’hydratation, ce qui conduit tout être humain à une mort certaine. On peut, par extrapolation, estimer qu’il s’agit d’une euthanasie déguisée, mais non consentie par le principal intéressé! L’académie française de Médecine a rappelé "qu’il n’est pas dans la mission du médecin de provoquer délibérément la mort. Aucun médecin ne peut accepter que le droit de la personne à l’alimentation, aux autres soins (kinésithérapie, prévention des escarres, hygiène) et mesures appropriées à la qualité de vie, soit subordonné à sa capacité relationnelle".

Que dit l’Eglise?

Deux évêques français ont fait part de leur réflexion commune. Mgr Thierry Jordan, archevêque de Reims, et Mgr Bruno Feillet, évêque auxiliaire, estiment que des questions éthiques essentielles demeurent sans réponse à la suite de l’arrêt de la CEDH. Selon eux, Vincent Lambert n’est "ni malade, ni en fin de vie". Et d’ajouter: "Arrêter volontairement l’alimentation et l’hydratation, même de manière progressive et indolore, ne peut se faire que dans la perspective de faire mourir. On peut donc légitimement se demander s’il ne s’agit pas d’une forme, consciente ou inconsciente, d’euthanasie". Tout en reconnaissant la complexité de cette situation particulière, les deux évêques invitent à mesurer le véritable enjeu du débat actuel: la vie.

Les questions que soulèvent les deux hommes d’Eglise à travers cette réflexion sont essentielles et extrêmement complexes. Comme on l’a vu, ci-avant, on ne peut pas qualifier ce cas d’acharnement thérapeutique, puisqu’il ne s’agit pas de prodiguer des soins en vue d’obtenir une guérison inenvisageable. D’autre part, il ne s’agit pas non plus d’euthanasie active. Mais le fait de laisser mourir une personne en situation de dépendance extrême, qui n’est pas en fin de vie par ailleurs, ne doit-il pas être considéré comme une forme d’euthanasie passive? La personne concernée ne peut certes pas survivre sans alimentation artificielle, mais la dépendance extrême de la personne constitue-t-elle un argument éthiquement justifié pour arrêter les soins prodigués? Par ailleurs, dans une interview au quotidien La Croix, l’archevêque de Rennes, Mgr Pierre d’Ornellas, chargé des questions bioéthiques au sein de la Conférence des évêques de France, juge que l’arrêt de l’hydratation et la cessation de la nutrition sont deux décisions médicales distinctes. "Ces interruptions peuvent être jugées ‘bienfaisantes’ si ces soins de base causent en eux-mêmes une souffrance, ou bien s’ils aggravent l’état de santé de Vincent. Or, d’après ce que dit la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), on est aujourd’hui incapable de savoir s’il souffre ou non", précise le prélat.

Ce qui importe donc, c’est de savoir si Vincent Lambert, en prévision d’un éventuel état végétatif, avait clairement exprimé sa volonté de ne pas subir de traitements. Mgr d’Ornellas estime, dans ce cas, qu’il est normal de respecter cette liberté et qu’en ce faisant, Vincent Lambert n’aurait pas choisi le suicide, ni l’euthanasie. Il aurait seulement demandé de ne pas subir de traitements jugés par lui disproportionnés, pour choisir de laisser venir naturellement la mort à la suite du traumatisme subi.

On le voit, ce cas nécessite du recul. Dans un premier temps, il serait sans doute préférable que ce dossier - qui doit être pénible à porter par les membres de la famille, peu importe le "clan" dans lequel ils se rangent – quitte la scène médiatique afin qu’une relative sérénité puisse être retrouvée. Il y va de l’avenir de Vincent Lambert mais aussi des 1.500 personnes qui se trouvent dans le même cas en France, car la décision de la CEDH fera jurisprudence. Et puis, il s’agit d’humanité, c’est-à-dire considérer que toute vie humaine est un bien précieux, même si elle est vulnérable. Telle est d’ailleurs la position "officielle" de l’Eglise catholique concernant la problématique de la fin de vie – comme de son début: un respect absolu de la vie de la personne humaine, ce qui implique que l’on ne peut en aucun cas, par un acte volontaire, y mettre un terme. Toute forme d’euthanasie est donc proscrite par l’Eglise. Par contre, laisser mourir une personne alors que tout traitement médical s’avère sans espoir, et risquerait de prolonger indûment les souffrances de la personne en fin de vie, n’est absolument pas condamné par l’Eglise.

 

J.J.D/C.H.

 

 

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