A la une de l’actualité, on retrouve des enfants victimes de faits divers sordides. Pourtant, sans aller jusqu’à ces situations extrêmes, de nombreux enfants vivent encore dans des conditions peu appréciables.
La maltraitance revêt différents visages. Il y a bien entendu la violence physique, qui laisse des traces de coup ou des hématomes. Plus insidieuse ou retorse, la violence psychologique attaque l’enfant dans sa confiance en lui, elle égratigne ou bouscule ses fondations individuelles, au point de mettre en péril son développement et son intégrité. Un tel type de comportement s’avère plus difficile à repérer pour un intervenant extérieur, puisqu’il n’y a pas de marque apparente, hormis les larmes… Pour soutenir la parentalité, il existe différentes structures en Belgique, avec notamment des aidants en première ligne, et d’autres qui les supportent. L’ensemble concourt à protéger les enfants d’aujourd’hui et, par voie de conséquence, les adultes de demain.
L’entretien avec Etienne de Maere, un expert en petite enfance, débute par un appel téléphonique manifestement urgent. Le tableau est posé. Etienne prend le temps d’écouter son interlocutrice; d’une voix douce, il rassure celle-ci. Les journées de ce quarantenaire se déroulent la plupart du temps au téléphone. Criminologue de formation, Etienne s’est également spécialisé en médiation familiale, un parcours pluridisciplinaire important à ses yeux. En mai dernier, il a pris part à un colloque international organisé à l’université Mohammed V sur le thème des violences éducatives ordinaires (VEO). Parmi tous ces représentants originaires de France, de Suisse, du Maroc… un même point commun se retrouvait: la volonté de protéger et d’éduquer les enfants. Et la Belgique est en tête de peloton, grâce notamment à la prévention. « Travailler dans le secteur de la petite enfance, c’est de l’épargne à long terme », observe Etienne. « On travaille parfois sur trois générations. J’aurais pu travailler dans une boîte d’assurance. Mais, dès le début, j’ai choisi la protection de la jeunesse. Je suis plutôt ambitieux au niveau humain! »
Un encadrement approprié
Pour supporter et soutenir les travailleurs médico-sociaux, des professionnels sont à leur écoute. Les clefs dont ils disposent sont multiples: « des capacités d’écoute, de soutien, de non-jugement, de positionnement à côté de (à l’inverse d’une explication autoritaire), en partant des compétences de l’autre, en donnant accès à différents modèles. La meilleure façon de lutter contre la maltraitance, c’est de s’inscrire dans une chaîne de bientraitance. C’est le principe des poupées russes qui s’emboîtent les unes dans les autres. »
Un engagement personnel
Côtoyer la misère humaine n’est pas aisé. Etienne se retrouve souvent confronté à des situations douloureuses. « Mon métier n’est faisable que si on dispose d’un cadre familial et d’un environnement correct, sinon je serais déjà en burn-out. » Autrement dit, une situation de « confort personnel » va de pair avec l’épanouissement professionnel. « Ce n’est pas un métier par vocation, où l’on sacrifie quelque chose pour autre chose. Ici, je combine mon épanouissement personnel et humain avec mon job. Et ensuite, je suis content de payer mes factures! » Exercer une telle profession rejaillit dans le cercle familial. Etienne reconnaît d’ailleurs exercer sa paternité « dans le dialogue et l’expression, un modèle plus démocratique que ceux d’autrefois ».
Une demande plus pressante
La crise n’est pas uniquement un phénomène économique, elle a bien des incidences dans les familles de Wallonie et de Bruxelles. « Il y a des gens sur le fil quant à leur santé ou à l’aspect mental, en termes de précarité financière, sociale, relationnelle. Et la crise les a fait tomber. » Pour preuve, les demandes d’aide ou d’intervention explosent. « L’accueil est insuffisant en Belgique. On assiste quelquefois à une maltraitance institutionnelle, faute de place. » Ainsi, laisse-t-on certains enfants à l’hôpital, « sans projet éducatif ». « Les situations sont plus lourdes, les enfants sont plus abîmés qu’il y a 15 ans. »
Si vous êtes témoin…
En cas de situation de maltraitance – avérée ou supposée – commencez par (re)nouer le dialogue. « Allez rencontrer votre voisin, parlez avec lui. Ceci dit, on n’est pas citoyen pour se mettre en danger. Glissez les coordonnées d’un travailleur médico-social du quartier (TMS), pour réfléchir dans l’anonymat. Ou signalez éventuellement le cas à un service d’aide à la jeunesse (SAJ). Enfin, en dernier recours, il reste l’intervention de la police, parfois nécessaire. » Le secteur médico-social a pour mission de protéger les enfants et de soutenir la parentalité, « pas de mettre les papas en prison. Un homme, qui est un très mauvais mari, n’est peut-être pas un mauvais père. Il est important de donner une bulle aux enfants pour qu’ils puissent déposer leur vécu, d’ouvrir une porte pour qu’ils aient un lieu en cas de besoin. »
Top secret
Le secret professionnel conditionne les échanges entre les acteurs d’un dossier traité. « Lorsqu’il y a un échange d’informations pertinentes pour la protection d’un enfant, les intéressés en sont informés. » La curiosité n’a pas voix au chapitre; seul compte le bien-être de l’enfant, qui était mis en péril. Les situations sont toujours urgentes, puisqu’il y va de la vie d’enfants fragilisés. « En Belgique, la maltraitance et sa gestion appartiennent en priorité au secteur de l’aide médico-psycho-sociale, soit de l’aide apportée par des acteurs tenus au secret professionnel. L’intervention du judiciaire doit rester exceptionnelle et ne peut se faire que, si après avoir tenté l’aide médico-psycho-sociale, il y a non collaboration ou refus et que la situation de danger persiste. En effet, ce secteur est parfois amené à gérer des situations extrêmement lourdes de maltraitance voire d’abus sexuel, sans que le judiciaire ne soit en piste. La sanction de l’auteur des violences est dès lors posée. Cependant, de par la notion de secret professionnel, de dossier confidentiel… l’aide apportée l’est directement dans la sphère privée, avec le respect de celle-ci. A contrario, l’action judiciaire est publique (audience publique). » Les poètes rêvent de mondes paisibles, sans violence. Comme on aimerait les croire!
Angélique TASIAUX