Toute personne qui met les pieds dans une prison sera tôt ou tard amenée à en sortir. Une sortie qui mérite d’être préparée et que l’asbl Les Chemins de TraverSe accompagne en proposant un projet citoyen et solidaire qui met en relation des libérés et des personnes à mobilité réduite.
Aumônière de prison depuis 17 ans, Christine Deltour accompagne et soutient de nombreux détenus tout au long de leur séjour carcéral. Elle a pourtant souffert de ne pas pouvoir continuer à accompagner les détenus après leur libération. C’est ainsi qu’a commencé à cheminer en elle l’idée des Chemins de TraverSe. Ce projet, Christine l’a fait mûrir pendant plusieurs années jusqu’au jour où elle a découvert la Joëlette, une chaise roulante sur une seule roue, qui est tirée par devant à l’aide de deux brancards et équilibrée par derrière à l’aide de deux poignées. Avec Luc De Keersmaeker, elle a ensuite fondé l’asbl Chemins de TraverSe qui réunit des personnes fragilisées autour d’un projet commun et solidaire. Elle met en contact des personnes présentant un handicap physique ou sensoriel avec des libérés de prison ou des personnes en permission ou en difficulté de réinsertion, et des bénévoles. Ensemble, ils randonnent et cheminent à la découverte des richesses des uns et des autres dans une nature exceptionnelle.
« A l’extérieur, il y a une série d’associations qui s’occupent des libérés », constate Christine Deltour. « Ce qui manque c’est le lien, la relation que les libérés peuvent construire ou reconstruire avec des personnes qui vont croire en eux et qui vont les accompagner dans la vie comme on s’accompagne en famille ou entre amis. (…) Aux Chemins de TraverSe, on s’y engage avec notre cœur et nous sommes tous bénévoles », assure la fondatrice de l’association.
C’est à la prison de Nivelles que Christine Deltour a rencontré Jean-Marc Baeten. En perte de repères, ce détenu cherchait tout simplement quelqu’un à qui parler. « Rencontrer des personnes accompagnantes et des personnes engagées dans la solidarité, dans le soutien… Cela m’a sauvé », confie Jean-Marc Baeten. « En prison, j’étais très heureux de pouvoir m’engager dans des petits projets, dans l’aumônerie, de pouvoir parler avec des gens et de retrouver une certaine forme de solidarité et surtout d’échange. »
Après plus de deux ans passés « à perdre son temps » en prison, Jean-Marc Baeten a aujourd’hui recouvré sa liberté. Sa libération a pourtant été pour lui un évènement « traumatisant ». Du jour au lendemain, sans qu’on l’ait aidé à suffisamment se préparer, il est passé d’une cellule de 9m2 à « l’air libre ». Il n’avait pas été prévenu: un jour, un garde est simplement venu lui annoncer qu’il pouvait sortir. « J’ai d’abord essayé de trouver un logement, de m’investir dans des activités sans réelle volonté d’engagement. Je suis passé par des moments de rage par rapport au ressenti de victimisation qu’on a dans une prison. Pour sortir de ce schéma, je suis intimement convaincu qu’il faut aller vers l’autre ».
Après s’être rapidement engagé dans Les Chemins de TraverSe, Jean-Marc Baeten a vite senti le besoin de s’en distancier. « Je venais toujours en tant qu’ex-détenu. J’ai eu besoin de faire une coupure et de revenir en tant que Jean-Marc. J’avais besoin de prendre un nouveau départ », explique-t-il. « Quand on sort de prison, il n’y a pas de coupure. C’est directement l’agent de probation, les rendez-vous judiciaires. On a l’impression que c’est sans fin. J’avais besoin de faire une pause, de réfléchir sur ma vie et poser des choix qui soient personnels et non des choix contraints. »
Récemment Jean-Marc Baeten a passé une semaine dans les Calanques avec les Chemins de TraverSe. « Je n’étais pas beaucoup dans le dialogue mais j’avais besoin d’être présent. Je n’ai pas parlé de prison, et j’étais très content car j’ai vécu en groupe au milieu de la nature et ça m’a permis de déconnecter. » « On peut reprendre conscience de ses émotions », ajoute-t-il, ravi de retrouver ces sentiments qu’ils pouvaient à peine exprimer en prison. « Cela m’apporte une certaine forme de plaisir, de joie et de rencontres. »
S’il est aujourd’hui libre, Jean-Marc Baeten reste toutefois lié à la prison par une série de mesures imposées par la Direction Gestion de la détention (DGD). Le lien omniprésent avec cette commission l’empêche de s’approprier pleinement sa nouvelle indépendance. Il était notamment soumis à une interdiction de quitter le territoire belge. Passionné de voyages, il s’est battu pendant un an pour obtenir la levée de cette condition. Les autres mesures conditionnelles qui lui sont imposées lui semblent à peine plus saines: selon lui, elles représentent autant de limites qui le freinent dans son épanouissement personnel.
Rejoindre l’autre dans ses limites
René Champenois a rejoint les Chemins de TraverSe en 2008. Malvoyant, il confie expérimenter « une autre structure personnelle » à travers sa participation aux activités de l’association qui l’aident aujourd’hui à mieux se positionner dans sa vie. « Au départ, je faisais tout pour éviter qu’on connaisse mon handicap. Or quand je randonne, il faut que j’explique mon handicap, que j’explique ce côté incomplet que j’ai dans ma vie. (…) Les amis qui sont dans l’asbl m’ont appris à mieux appréhender mon handicap. »
C’est dans les limites que René confie rejoindre Jean-Marc. « Nous vivons tous les deux un manque sur lequel on a une connivence. Même si on ne l’exprime pas, même si on ne l’explique pas, on le sent », poursuit-il. « Quand je suis dans l’association, je n’ai aucune appréhension par rapport à un libéré. La personne est une personne, point. Je la rencontre et son passé m’importe peu. C’est ce qu’elle vit maintenant qui importe. »
L’idée de Christine Deltour de mettre en relation des personnes présentant un handicap physique ou sensoriel avec des libérés de prison en processus de réinsertion lui est apparue après avoir écouté les témoignages de Tim Guénard. Abandonné par sa mère à l’âge de deux ans et battu par son père, Tim Guénard « est sorti de sa délinquance, appelé par les personnes handicapées mentales », raconte Christine. « Il a fait partie de l’Arche pendant des années et c’est l’Arche qui lui a ouvert les yeux sur son potentiel d’être humain, quoi qu’il ait fait et d’où qu’il vienne ». Cette générosité humaine est aussi la raison d’être des Chemins de TraverSe dont le nombre de participants ne cesse de grandir depuis 2005. On y découvre « la complémentarité et la richesse des personnes qui ont vécu des expériences très différentes et qui, finalement, se rejoignent », ajoute Christine.
Confiance et amitiés
Au-delà des randonnées qu’organisent régulièrement les Chemins de TraverSe, l’association a également ouvert un habitat solidaire à destination des personnes libérées ou en insertion et des personnes avec une déficience physique. « Bertrand est la première personne libérée que nous accueillons. Après avoir fait une bonne vingtaine d’années de prison, il était complètement paumé à sa sortie. Il a fallu le remettre en ordre au niveau du CPAS et au niveau de la mutuelle, lui ouvrir un compte en banque. On lui a expliqué ce qu’était qu’une carte de banque, un compte à vue, un compte épargne, un GSM. Tout cela était tout à fait nouveau pour lui. Les détenus ne sont pas préparés à la sortie donc on essaie de les prendre par la main, » explique Marina Monard, sage-femme et bénévole à l’association. « Les liens qui se créent aux Chemins de TraverSe vont bien au-delà de la randonnée. Il y a des coups de fil, de l’entraide, des affinités qui se créent tout au long des années, » confie-t-elle.
Très engagés, actifs et réguliers dans leurs rencontres, les membres des Chemins de TraverSe se sont retrouvés tout récemment, le dimanche 31 mai, à l’occasion des 20 kilomètres de Bruxelles. Après s’être unis dans un effort solidaire, ils étaient une vingtaine de participants et trois Joëlettes à franchir la ligne d’arrivée. Et tous sont déjà tournés vers l’avenir. Un avenir plein de nouveaux défis qu’ils se réjouissent de relever ensemble.
Sophie TIMMERMANS
Plus d’infos sur Les Chemins de TraverSe asbl, Rue de l’Eau Vive 19 à 1420 Braine-l’Alleud, 0484.77.00.48 ou 02.387.07.84,
• Un film à voir: « La Nef des fous », Prix du meilleur documentaire belge.
• Un livre à lire: « Des prisons comme hôtels:
A la rencontre de prisonniers du monde » de Jan de Cock aux éditions Racine.