Si le pape François s’inquiète de l’évolution climatique de la planète, ce n’est pas un hasard. Voici pourquoi.
La lutte contre le dérèglement climatique, longtemps négligée, ressemble de plus en plus à une course contre la montre. Début décembre, à Paris, les principaux décideurs de la planète devront définir comment s’y prendre pour maintenir à tout prix la hausse des températures sous le seuil de 2°C par rapport à l’époque pré-industrielle.
Deux degrés, cela paraît assez minime. Surtout dans nos pays tempérés, où un été à deux degrés supplémentaires par rapport aux moyennes habituelles fait rêver les touristes en mal de terrasses ensoleillées. Erreur! Deux degrés, c’est une moyenne, que les experts du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) assortissent immanquablement, dans leurs modèles, de phénomènes climatiques extrêmes: tempêtes, sécheresses, inondations, etc. On aurait donc tort de se réjouir de l’augmentation des rendements agricoles dus à une température moyenne légèrement supérieure si, peu avant la récolte, les blés sont dévastés par des orages diluviens. Dans un monde à 2 degrés de plus, 40% des terres dédiées à la culture du maïs en Afrique subsaharienne deviendraient inutilisables. Et les vagues de chaleur inhabituelles concerneraient jusqu’à 20% des terres immergées du globe(1). Quant à nos contrées, rappelons-nous la canicule de 2003 qui, en association avec des pics d’ozone exceptionnels, fit 1.300 victimes parmi la population belge âgée et/ou malade…
Un degré qui change tout
Or, nous nous rapprochons dangereusement de ce seuil, voie d’accès vers des phénomènes climatiques de grande ampleur, voire irréversibles. Depuis l’invention de la machine à vapeur, la température moyenne du globe s’est élevée de 0,6 degrés. Et, selon Jean Jouzel, vice-président d’un des groupes de travail du GIEC, « les modèles prévoient que cette hausse atteindra au moins 1°C supplémentaire d’ici à 2035 ». C’est-à-dire… après-demain! Cet aspect « inévitable » de l’augmentation des températures est dû à l’inertie du système climatique: les gaz à effet de serre restent longtemps dans l’atmosphère et, émis en surcharge par rapport à ce que les océans et les forêts peuvent naturellement absorber, mettent du temps à exercer leur pouvoir réchauffant. Une autre comparaison en dit long sur ce cap des 2°C. Il y a quelque 20.000 ans, en pleine période glaciaire, l’Europe tout entière et l’Amérique du Nord étaient recouvertes d’une couche de glace de deux à trois kilomètres d’épaisseur alors qu’à l’époque, la température moyenne de la planète n’était inférieure que de 4 à 5 degrés à notre température actuelle…
A l’inverse de ce que prétendent les climato-sceptiques (oui, il en reste…), ce seuil de 2°C est tout sauf un seuil imposé par un club très fermé de climatologues un peu autoritaires. Il est l’objet d’une décision politique, remontant à la Conférence sur le climat de Cancun en 2010. A ce moment, les dirigeants de la planète ont réalisé que les travaux menés sur le climat depuis vingt-cinq ans, validés par le GIEC, étaient décidément interpellants. Et que la fixation d’un seuil de température à ne pas dépasser (ensuite entériné par le G8 lui-même!) était une obligation politique – et morale, comme vient de le rappeler le pape François – dont les démocraties n’avaient pas à rougir…
Hollande à la barre
A Paris, fin novembre, il s’agira d’embarquer les pays pollueurs dans de nouveaux accords de réduction des gaz à effet de serre. Y compris, cette fois, les pays émergents (Chine, Inde, Argentine, Mexique…). Les engagements devront être très ambitieux: on parle de « décarboniser » l’économie pour la fin du siècle, rien que cela! Il faudra, aussi, gonfler considérablement les budgets du Fonds vert pour le climat, destinés à aider les pays pauvres de la planète à s’adapter.
Les discussions préparatrices à ce sommet décisif, dit-on à Paris comme à Bruxelles, se déroulent dans une bonne atmosphère. C’est déjà ça! Car il faudra régler des questions aussi fondamentales que celles-ci: si l’on veut se donner ne fût-ce qu’une chance d’atteindre l’objectif 2°C, près de 80% des réserves de gaz de schiste et de pétroles non-conventionnels devront rester enfouies. Celles-là mêmes qui convainquent les Américains qu’ils sont sur le point de retrouver leur indépendance énergétique… Pendant ce temps, de nouveaux travaux scientifiques ont démontré que l’Antarctique n’avait pas seulement commencé à fondre le long de sa péninsule, à l’Ouest, mais aussi à l’Est. Vous avez dit « urgence »?
Francis Demars
(1) « Le défi climatique. Objectif 2°C », J. Jouzel et A.Debroise, Dunod, 2014, 237 p.