Editorial de Pascal André, paru dans le "Dimanche Express" n°15 du 22 avril 2012 :
La goutte de trop… C'est ainsi que les membres du personnel de la STIB, mais aussi un grand nombre de Belges, ont perçu le fait divers tragique qui s'est produit le 7 avril dernier à Bruxelles. Iliaz Tahiraj, 56 ans, effectuait un constat de routine à la suite d'un banal accrochage entre un bus et une voiture, lorsqu'un homme, même pas impliqué dans l'accident, lui a expédié au visage un coup de poing qui lui a été fatal. Certains parlent d'un malheureux concours de circonstances. D'autres y voient plutôt le signe d'une société de plus en plus violente, où le moindre incident peut facilement dégénérer.
Face à la vive émotion suscitée par ce drame, nos responsables politiques ont choisi de répondre rapidement en augmentant le nombre de policiers dans les transports en commun. Mais cette mesure suffira-t-elle à enrayer le phénomène? C'est peu probable. Et puis, est-ce vraiment cette société-là que nous rêvons de construire, où chaque citoyen serait protégé ou surveillé par un "flic"? Au lieu de prendre des mesures sécuritaires après chaque fait divers (ce fut déjà le cas en 2006 après le meurtre du jeune Joe Van Holsbeeck), ne serait-il pas préférable de s'interroger sur ce qui génère l'agressivité dans l'espace public? Plusieurs hypothèses circulent effectivement à ce sujet: le matérialisme et l'individualisme exacerbés de notre société, la mentalité de compétition, la banalisation de la violence dans les médias, le sentiment général d'insécurité qui règne actuellement dans la population, le refus de l'autorité, la crise des institutions, une trop grande permissivité, la fracture sociale, etc.
Toutes ces explications se valent bien évidemment et il n'y a aucune raison que nous en privilégiions une plutôt qu'une autre, car c'est l'ensemble de nos choix de société que nous devrions examiner avec attention. Quand il n'y a plus d'horizon commun, de perspectives d'avenir ou de grands projets mobilisateurs, il est normal que les individus se replient sur eux-mêmes et se fixent leurs propres repères, leurs propres règles. C'est une question de survie. Malheureusement, il y a un revers à cette médaille: la déliquescence du lien social. Chacun vit dans sa bulle, sans se soucier des autres et de l'environnement qui l'entoure. Certes, la tolérance de chacun pour les valeurs des autres est plus ou moins préservée, mais elle ne peut suffire à fonder le vivre-ensemble. Le lien social doit reposer sur un projet collectif qui reste à réinventer.