Editorial de Pascal André paru dans « Dimanche Express » n°13 du 1er avril 2012 :
La crise ne frappe décidément pas tout le monde de la même façon. C’est ce qu’ont pu découvrir les Belges, il y a quelques jours, en parcourant les salaires des tops managers des entreprises publiques de notre pays. Parmi ceux-ci, le mieux payé est sans conteste Didier Bellens. L’administrateur délégué de Belgacom a effectivement gagné 2,6 millions d’euros bruts en 2011, soit 80 fois plus que le salaire médian et dix fois plus que le salaire du Premier ministre. Bien qu’elle ait suscité de nombreuses réactions outragées ces derniers jours, cette information n’est pas vraiment neuve en soi. Cela fait plusieurs années déjà que syndicats et partis politiques dénoncent cette inégalité, sans parvenir à la réduire pour autant. La seule différence, c’est qu’aujourd’hui, nous traversons une grave crise économique et que, dans de telles circonstances, des écarts aussi importants sont difficilement admissibles.
En effet, si les rémunérations – salaires, bonus, stock-options, retraites-chapeaux, Golden Hello – flambent au sommet de la pyramide sociale, elles ont plutôt tendance à stagner, voire à diminuer, au bas de l’échelle. Savez-vous, par exemple, que les grands patrons français gagnent 300 fois le salaire moyen d’un employé et que le bonus à sept chiffres d’un trader représente « nonante années d’activités, soit plus de deux vies de salarié ». En quoi une personne humaine peut-elle valoir 300 fois plus qu’une autre? Et pourquoi certains peuvent-ils empocher en quelques minutes ce que d’autres mettent toute une existence à gagner?
Ce qui est certain, c’est que les salaires extravagants, pour ne pas dire indécents, de certains patrons n’ont plus aucun rapport avec leurs qualifications professionnelles et les responsabilités qu’ils prennent au sein de leur entreprise. Elles ne font d’ailleurs qu’alimenter une surenchère malsaine. Bref, c’est de l’argent indûment gagné, tant il est vrai que ce ne sont pas les dirigeants seuls qui assurent le succès d’une entreprise, mais aussi et surtout l’ensemble des travailleurs.
L’éthique a trop longtemps été le parent pauvre de l’économie et de la finance. Le moment est donc venu de rétablir la primauté de la morale. Voilà pourquoi il est urgent que nos politiciens se penchent sérieusement sur ce dossier et fassent des propositions concrètes, et cela même si la Belgique est le pays des salaires élevés les plus modestes d’Europe. Nous n’en sommes effectivement restés que trop longtemps au stade des promesses non tenues.