Il y a deux semaines, nous publiions un texte de Jacques Hootelé, intitulé "Lettre ouverte à mes frères et sœurs Juifs". Ce texte ne risque-t-il pas de créer un dangereux amalgame? C’est l’impression qu’a eue Sébastien Belleflamme, professeur de religion, et chroniqueur à Dimanche. Qui tient à réagir.
Le texte part d’un hommage sincère à la souffrance juive liée à la Shoah perpétrée pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce texte fait aussi écho à l’horreur subie aujourd’hui par les populations civiles palestiniennes à Gaza.
Un grand malaise
Mais la lecture de cette opinion suscite en moi un grand malaise. L’auteur semble s’adresser aux Juifs en leur disant: "Vous avez souffert, mais maintenant vous êtes les bourreaux", et interroge les Juifs quant à leur crédibilité. Il y a là une rhétorique dangereuse. Le texte emploie systématiquement le terme "vous", qui s’adresse apparemment à tous les Juifs, et vaguement "à leurs armées et mouvements extrémistes" (je cite), et non explicitement au gouvernement israélien actuellement en place et à ses choix politiques.
Cela crée une confusion, pour ne pas dire un amalgame, entre l’identité juive et la politique de guerre menée par l’Etat d’Israël. C’est problématique, car cela revient à essentialiser les Juifs — tous les Juifs — comme un bloc solidaire ou complice des choix politiques actuellement pratiqués en Israël.
Un Israélien peut voter à gauche ou à droite
Il est important de rappeler ceci: tous les Juifs ne sont pas Israéliens. Des Juifs vivent dans le monde entier et ont une diversité de nationalités. Tous les citoyens israéliens ne sont pas juifs, certains sont par exemple athées ou musulmans. Et d’ailleurs tous les Juifs ne sont pas forcément croyants ou religieux. Aussi, tous les Israéliens juifs – ou tous les Israéliens d’autres confessions – ne soutiennent pas forcément la politique du gouvernement actuellement en place ou les opérations militaires à Gaza. Un Israélien peut voter à gauche ou à droite. Il peut être conservateur ou progressiste. Il peut soutenir la guerre comme il peut promouvoir la paix. Bref, il n’y a pas de "frères et sœurs Juifs" auxquels ont peut s’adresser de façon aussi indifférenciée.
De par le monde, des voix juives se font de plus en plus entendre pour protester contre les horreurs perpétrées à Gaza. L’historien et ancien ambassadeur Elie Barnavi, la journaliste Anne Sinclair, la rabbine Delphine Horvilleur, etc.
Beaucoup de juifs souffrent de Gaza
Si nous voulons créer la paix, il convient d’abord d’arrêter de parler DES Juifs, ou DES musulmans, ou DES chrétiens comme s’il s’agissait d’une identité unique, monolithique. Il y a autant de points de vue juifs qu’il n’existe de Juifs, et aujourd’hui, beaucoup de Juifs souffrent de ce qui se passe à Gaza.
Le texte se réfère aussi à la sagesse biblique du peuple hébreu pour interroger aujourd’hui la crédibilité morale des Juifs, au motif que certains Juifs seraient capables de commettre le mal… Voilà qui me semble être un autre terrain glissant. Les chrétiens ont-ils des leçons de morale à donner?
Sommes-nous irréprochables et toujours crédibles quant à l’amour prôné par le Christ? Il me semble qu’un certain patriarche russe soutient l’invasion et les bombes en Ukraine… Qu’un certain président américain se réclame de l’évangélisme pour faire régresser la démocratie et les droits humains. Nous avons toutes et tous à balayer devant notre porte.
La singularité de chacun
Humains, avec ou sans confession religieuse, nous sommes toutes et tous appelés à œuvrer pour la paix. Et cela commence par accueillir la singularité de chacun, qu’il soit juif ou athée, chrétien, hindou ou musulman, sans supposer à l’avance ce qu’il pense ou ce qu’il croit. De nombreux Juifs, israéliens ou non, souffrent des horreurs perpétrées par le Hamas – particulièrement après les attentats et les prises d’otages du 7 octobre 2023 – et de nombreux Juifs, israéliens ou non, souffrent aussi des horreurs subies aujourd’hui par le peuple palestinien.
Je regrette que ce texte parle des Juifs de façon indifférenciée. La paix commence par notre façon de regarder l’autre.
Sébastien BELLEFLAMME
(titre, chapeau et intertitres sont de la rédaction)