De 2012 à 2022, le réalisateur Pierre Carles a suivi des dirigeants et des combattants des FARC pendant et après le processus de paix. Comment ces paysans, qui ont lutté des décennies pour le partage des terres, vont-ils accepter de rendre les armes?
Dans Guérilla des FARC, l’avenir a une histoire, le réalisateur Pierre Carles et son co-auteur Stéphane Goxe dressent le portrait de la résistance armée qui s’est opposée, pendant près d’un demi-siècle, à l’Etat colombien et aux grands propriétaires terriens. Le documentaire débute dans un campement installé en forêt, dans le maquis. Les conditions de vie y sont très sommaires. Une toile pour s’abriter de la pluie, un hamac ou une couchette pour se reposer et une cuisine à l’air libre pour la préparation des repas collectifs. Les combattants, hommes ou femmes, se lavent et font leur lessive directement à la rivière. L’un d’eux explique que toutes ses affaires tiennent dans un seul sac à dos.
Révolution agraire
Leur organisation est basée sur le principe du communisme. Il n’y a pas de propriété privée, personne ne peut posséder plus qu’un voisin et le nécessaire est fourni par la collectivité. Les femmes, qui représentent un tiers des membres de la guérilla, sont armées et portent l’uniforme quand elles sont sur le camp. Au moment du tournage, les combats ont été suspendus. Les négociations entreprises à Cuba en 2012 ont abouti le 23 juin 2016 à la signature d’un accord de cessez-le-feu. Il faut remonter quelques années plus tôt pour voir des scènes d’attaques sur des positions occupées par l’armée colombienne ou d’autres de combattants fuyant les bombardements aériens.
Conscient que les négociations sont sur le point d’aboutir, chacun se demande de quoi sera fait l’avenir, une fois les armes rendues et le démantèlement opéré. Les plus jeunes envisagent de reprendre des études, d’autres un travail. Mais la plupart espèrent pouvoir disposer d’un terrain sur lequel s’installer avec leur famille et cultiver la terre. C’est d’ailleurs le cœur du combat qui a été mené pendant près de 53 ans. Un programme de révolution agraire radical pour s’opposer aux grands propriétaires terriens et au gouvernement qui se sont accaparé les terres des populations vivant à la campagne.
Le grand rêve du chef historique des FARC, Pedro Antonio Marin (également connu sous son nom de guerre Manuel Marulanda Vélez), était de construire des ponts et des routes pour permettre le développement de l’agriculture paysanne.
Violence et désillusion
Un idéal qui tranche avec la violence qui s’est exercée durant cette longue période. Le réalisateur tente d’interroger des combattants sur cette violence attribuée aux FARC, les enlèvements avec rançons, les liens avec les cartels de drogue, les assassinats, le racket. Les réponses sont évasives, dénonçant le rôle des "médias à la solde du pouvoir", qui ont volontairement terni leur image en leur attribuant des morts ou des disparitions qui n’étaient pas de leur fait. D’autres accusent les milices de grands propriétaires terriens qui ont fait beaucoup de victimes. Les affrontements les plus violents se sont déroulés à la fin des années 2000.
Pierre Carles interroge, année après année, plusieurs membres ou dirigeants de la guérilla: une jeune médecin qui s’est mise au service du groupe armé et qui forme des recrues aux soins d’urgence; Nathalie Mistral, la seule française qui a rejoint les FARC; un couple de résistants de la première heure ou encore des leaders locaux qui seront invités à la table des négociations. On les retrouve ensuite quelques mois ou années après les accords de paix. Souvent, ils expriment leurs désillusions.
La démobilisation et la paix sont vues de manière positive, tout comme le fait que leurs idées puissent désormais s’exprimer à travers des partis politiques. Mais le gouvernement tarde à honorer la promesse de céder des terres à cultiver. Dès lors, certains s’organisent en coopératives.
D’autres font marche arrière et rejoignent une autre guérilla. L’espoir réside aujourd’hui dans la victoire de Gustavo Petro, le candidat de gauche, aux élections présidentielles de 2022 et de la vice présidente Francia Marquez, une fervente militante pour les droits humains, qui déclarait "le temps des petites gens est venu".
Pierre Carles dédie ce film à son beau-père, Duni Kuzmanich, le premier cinéaste à avoir tourné un film sur les guérillas colombiennes des années 50, avec la ferme volonté de dédiaboliser la résistance armée. Des extraits du film Rio Chiquito saluent également le travail de deux réalisateurs français, Bruno Muel et Jean-Pierre Sergent, qui avaient filmé les débuts des FARC en 1965.
Manu VAN LIER
A voir au Cinéma Nova, rue d’Arenberg 3 -
1000 Bruxelles, jusqu’au 28 février.