Réouverture de Notre-Dame: « Le pape n’aime pas l’Europe? N’est-ce pas plutôt l’Europe et la France qui boudent le christianisme ? »


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Réouverture de Notre-Dame: « Le pape n’aime pas l’Europe? N’est-ce pas plutôt l’Europe et la France qui boudent le christianisme ? »
La réouverture de la cathédrale est le fruit d'un chantier colossal (c) Rebâtir Notre-Dame de Paris
Par Charles Delhez
Chroniqueur
Publié le
5 min

Georges Chalon a revu sa copie. Il y a cinq ans, en 2019, il chantait : « On va reconstruire Notre-Dame. Païens, croyants, nous avons tous une âme de battants. » Il peut maintenant chanter : « On a reconstruit Notre-Dame et qu’est-ce que ça fait si ce n’est pas le même Dieu ! » Une opinion de Charles Delhez.

Ce n’est pas la première fois que, dans l’histoire de France, cet édifice, héritage des siècles chrétiens, rassemble ceux qui croient au Ciel et ceux qui n’y croient pas. Les équipes chargées de réfléchir aux principes d’aménagement de la cathédrale, qui comptait chaque année 12 millions de visiteurs, l’ont laissé entendre en parlant d’une « cathédrale intégralement catholique… donc ouverte à tous ». Au cœur de la ville, cet édifice est pour tous comme le symbole d’une autre dimension que ce qui fait notre quotidien.

L'histoire paradoxale de France

Notre-Dame représente la foi chrétienne des générations précédentes qui ont sculpté la pierre et qui nous offrent gratuitement ce lieu qui pointe vers le ciel. Mais ce chef d’œuvre du Moyen Age est aussi un lieu emblématique de l’histoire paradoxale de la France. Si, par exemple, à Noël 1886, Paul Claudel y fut illuminé par la foi, le 10 novembre 1793, la première fête de la déesse Raison y était célébrée. Ce joyau du christianisme fut aussi un temple laïque et républicain. Napoléon, en 1804, y convoqua le pape Pie VII à son auto-couronnement ! Le président Macron, qui se vante de tutoyer le pape, n’a pas quant à lui pas pu obtenir la présence papale.

Paris ne vaut pas une messe. La Corse bien

Pourquoi, dans ce pays qui se veut laïque et qui a refusé de reconnaître les racines chrétiennes de l’Europe, s’étonne-t-on de l’absence pontificale ? Resterait-il une certaine nostalgie de son titre de « la fille aînée de l’Eglise » qui lui donnerait un traitement privilégié ? Mais qu’aurait été faire là François au milieu d’une cinquantaine de chefs d’État et de gouvernement, au côté de Trump lui-même, sinon ajouter un peu de décorum et apporter de la fierté à Macron ? Fallait-il que le pape réponde au doigt et à l’œil à une invitation qui était peut-être plus de prestige que porteuse d’avenir religieux ?

Le pape n’aime pas l’Europe et boude la France, dit-on. Mais n’est-ce pas l’Europe et la France qui boudent le christianisme ? L’Hexagone, comme la Belgique d’ailleurs, n'en est plus qu'à 2 % de pratique religieuse mensuelle. Si on ne peut imaginer Paris sans Notre-Dame, on réussit de plus en plus à imaginer la France sans le christianisme. Les églises des campagnes y sont abandonnées et de nombreux édifices religieux sont désacralisés. Et pourtant, quelle surchauffe médiatique autour de cet évènement.

Plus populaire que protocolaire

Les motifs de ne pas aller à Paris ne manquaient pas à François l’imprévisible. Le pape argentin a une âme plus populaire que protocolaire, les mondanités ne sont pas particulièrement son genre. Ce qui est certain, c’est qu’il préfère les périphéries. Il a donc choisi la Corse. Dans l’île de beauté, en effet, se tiendra le week-end suivant un colloque sur « la religiosité populaire en Méditerranée ». François préfère orienter les projecteurs sur cette foi toute simple qui n’a pas disparu du cœur du peuple tout comme à Marseille, il avait souligné l’importance du dialogue interreligieux. Réjouissons-nous donc des deux évènements : la présence du pape en Corse attirera les regards sur ce qui aurait pu passer inaperçu et la réouverture de Notre-Dame qui n’aura pas besoin d’une visite pontificale pour faire la Une.

Lieu spirituel ou musée ?

Encore une question. Notre-Dame de Paris est-elle simplement un patrimoine archéologique que les touristes photographient en passant ou un lieu spirituel et religieux ? Sylvain Tesson, qui confie ne pas être croyant, évoque le recul spirituel de notre temps. « Les antiques ont passé leur vie à essayer de peupler le ciel de symboles et de représentations, et nous, nous avons mis toute notre philosophie et notre énergie à essayer de l'en dépeupler », observe-t-il.

Ce lieu de toute beauté est l’interface entre les générations, entre l’histoire — 861 ans — et l’actualité, entre le monde religieux et la société civile, entre le peuple chrétien et la société aux convictions et croyances si diverses. On pouvait y entrer gratuitement sans devoir montrer sa carte de baptême ou cacher celle d’un parti politique. Une nation peut y percevoir quelque chose de son âme, dirait Georges Chalon. Aujourd’hui, il est question de faire payer l’entrée dans ce joyau spirituel comme au Louvre.

Qu’il reste des lieux symbole de la gratuité, c’est une valeur sans quoi l’humain ne l’est plus. Au cœur de notre société mercantile, si la religion a encore une place, c’est bien pour signifier que la valeur essentielle de la vie, finalement, c’est la gratuité, celle de l’amour, celle de la foi, celle de la beauté.

Comme la galerie des glaces à Versailles?

Mais quel rôle le christianisme peut-il encore jouer dans le pays d’Occident ? Est-il simplement devenu une réserve de valeurs, uniquement quand celles-ci nous conviennent ? Sera-t-il réduit à un patrimoine du passé, comme la galerie des glaces à Versailles ? Ou sera-t-il encore ce puits d’espérance qui a irrigué notre Europe et qui questionne la hiérarchie de nos valeurs, un aiguillon spirituel qui interroge la société et l’invite à retrousser les manches afin qu’advienne un monde de justice où les petits et les oubliés retrouvent la première place ? L’Église, quant à elle, ne pourra jamais fermer les portes à ceux qui ne partagent pas sa foi ni oublier les combats à mener, dans le coude à coude avec tous, en dehors de ses bâtiments si prestigieux soient-ils, car, disait le concile Vatican II, les joies et les espoirs de l’humanité sont les siens.

Par-delà la présence ou l’absence du pape et la gratuité de l’entrée dans Notre-Dame, telles sont les véritables questions. Notre-Dame deviendra-t-elle un musée payant, et le christianisme une culture du passé, une petite secte de bien-pensants ? L’avenir y répondra.

Charles DELHEZ

Catégorie : Opinions

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