C’est à une démarche originale que Chantal Deltenre convie son lecteur. L’ethnologue se lance dans la recherche de la naissance du regard.
"Il arrive qu’un enfant s’émerveille d’une chose que personne d’autre que lui ne peut voir." Ainsi débute Le regard retrouvé. Poursuivant dans cette veine, Chantal Deltenre constate : "D’un premier regard, il ne reste aucune trace : il éclot dans la stricte intimité des yeux auxquels il appartient, sans preuve, sans témoin." Et pourtant ces premières impressions suscitées par le regard sont probablement "décisives", écrit-elle. Ainsi, son regard à elle est né pendant l'automne, à l'intérieur. Il doit être différent de celui d'un enfant qui s'ouvre à l'extérieur.
Ethnologue, l'auteure capte au plus près les mouvements de l’âme. Traquant ses souvenirs d’enfance et les conditions de leur émergence, la blessure n’en est pas moins vive : "Aucune de ces photos ne comble l’absence du regard maternel."
Née dans une famille modeste, Chantal Deltenre a appris très jeune à ne pas être immobile. Ses grands-parents agriculteurs, avec lesquels elle habite, n’ont pas le temps de se promener ! Pourtant, la fillette comprend que regarder autour de soi n’est pas futile. Ce verbe ne traduit-il d’ailleurs pas une manière de "prêter attention au monde, veiller sur quelque chose ou quelqu'un, en prendre soin" ? Les enfants ne seraient-ils pas, en quelque sorte, les derniers voyants ? Ceux qui voient des choses que les autres ne perçoivent plus, une fois gagnés par l’habitude et la nécessité de vaquer à leurs occupations.
La véracité du regard
Pour laisser une trace qui soit crédible, Chantal Deltenre va s’armer d’un "prolongement" du regard bien précieux : un appareil photo. Peu importent le cadrage ou la netteté des clichés, seule compte l’empreinte de l’image, qui a force de preuve. Il y va d’une confiance en soi et au monde. Un récit intimiste qui a valeur d’universalité.
Angélique TASIAUX
📕 Chantal Deltenre, Le regard retrouvé. Esperluète, 2024, 112 pages.