Avec ce premier roman "Tombée du ciel", Alice Develey plonge son lecteur dans l’univers impitoyable de l’anorexie.
Si vous préférez les histoires douces et romantiques, alors passez votre chemin! Le témoignage d’Alice Develey glace les sangs. Atteinte de TCA – troubles du comportement alimentaire – à l’âge de 14 ans, la jeune femme raconte l’interminable hospitalisation qui a suivi la perte de poids. Seize ans plus tard, elle n’épargne aucun détail. Contention, automutilation, poches de gavage, crises d’angoisse, insomnie de celle qui s’endort "comme on se noie"… Le lecteur suit, pas à pas, l’évolution de l’anorexie dans le corps et la tête de la jeune fille enfermée, durant des mois, dans un hôpital.
"L’anorexie est un mal qui ne naît pas de l’image mais de l’œil. Il a besoin de l’autre et de son regard pour souffrir", explique Aurélie Develey. Et de déplorer que les jeunes filles anorexiques se trouvent réunies dans un même service, où elles ne cessent de se comparer et d’envier une perte de poids qu’elles observent dans le corps des autres. A mille lieues des connaissances livresques du corps médical, une lutte se joue pour perdre quelques grammes. "L’anorexique n’est pas dans la privation mais dans la disparition. Il faudrait s’imaginer ce qui lui arrive comme un mauvais film d’horreur. L’anorexie prend possession d’elle", détaille Alice Develey, qui interroge ses souvenirs pour mieux restituer, sous forme romancée, les états d’âme des esseulées qui livrent un combat, celui de leur vie.
Sous emprise
"Toute la journée je compte", raconte la narratrice, qui révèle la raison majeure devenue le diktat de ses agissements: la voix de Sissi. "Sissi me parle la langue de la vérité. C’est pour ça qu’elle est terrible avec moi. Il y a un prix à payer pour la connaître. (…) Elle me rassure même si elle me torture." Et supplicier, cette voix le fait allégrement, en imposant mille et un sévices à la fillette, sommée d’agiter ses jambes dans son lit pour perdre du poids ou de se tenir debout au pied du lit jusqu’à l’évanouissement. Les injures et les paroles dévalorisantes ne cessent de poursuivre l’adolescente, au gré de ses agissements.
En contre-point, Tombée du ciel évoque aussi les amitiés qui peuvent naître, dans les services de pédiatrie ou de pédopsychiatrie, entre les malades qui acceptent de s’apprivoiser. C’est pour Candice, Luce, Adèle, Solène, Hélène, Bastien, Louise, Pia, David qu’Alice écrit, afin de témoigner de la violence des traitements subis. Ainsi en est-il de la kyrielle de gélules médicamenteuses avalées pour contrer des troubles liés à des effets secondaires parfois contradictoires. Ou encore de l’enfermement dans une chambre d’isolement.
Un livre à conseiller, particulièrement au monde des soignants.
Angélique TASIAUX
📖 Alice Develey, Tombée du ciel. L’Iconoclaste, 2024, 399 pages