“Les femmes sont les grandes absentes de Laudato si’”, regrette l’UCLouvain. “La femme est plus importante que l’homme”, répond le Pape


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“Les femmes sont les grandes absentes de Laudato si’”, regrette l’UCLouvain. “La femme est plus importante que l’homme”, répond le Pape
Par Vincent Delcorps
Publié le - Modifié le
6 min

Le pape François était attendu à Louvain-la-Neuve cet après-midi. Il s'est fait interpeller par des représentants de la communauté universitaire. Outre la place des femmes dans l'Eglise, il a été question de rapports de domination et d'intersectionnalité. Un dialogue... pas forcément évident! Mais marqué par une grande cordialité.

Ambiance jazzy pour accueillir le Pape (manifestement amateur) dans une Aula Magna pleine à craquer. Dans la foulée, c'est (très courageusement) en italien que la rectrice Françoise Smets commence son mot d'accueil. Après la diffusion d'une courte capsule vidéo historique retraçant l'évolution de l'institution séculaire, la rectrice prend aussi soin de rappeler la visite de Jean-Paul II en 1985.

Elle entre ensuite dans le vif du sujet. "Nous connaissons l'urgence climatique", indique-t-elle. "Comme communauté universitaire, nous avons une responsabilité majeure." Evoquant l'encyclique Laudato si', elle indique que des chercheurs et étudiants ont pris le temps de se laisser interpeller par diverses thématiques plus ou moins proches de l'encyclique. Avant de s'en aller longuement serrer la main du Pape.

Des jeunes impuissants

Arrive Geneviève Damas, la comédienne chargée d'être la voix de l'UCLouvain cet après-midi. "Les jeunes que nous formons à l’université vivent dès lors dans une temporalité inédite", indique-t-elle. "La société de consommation les invite à jouir matériellement du présent. Mais le savoir qu’ils acquièrent — dans les auditoires et ailleurs — les convainc d’une catastrophe en marche face à laquelle ils et elles se sentent impuissants."

Une chanson signée de la chanteuse Pomme et une prise de parole partagée donnent du rythme à l'intervention. Qui se poursuit:"Comme vous le dites dans Laudato si’, "[cette réponse] devrait être un regard différent, une pensée, une politique, un programme éducatif, un style de vie et une spiritualité qui constitueraient une résistance face à l’avancée du paradigme technocratique". Mais comment articuler intellectuellement cette résistance?"

Sus aux rapports de domination

Arrivent des interpellations plus vives. "De nombreux intellectuels se sont engagés dans une
relecture critique de l’héritage judéo-chrétien"
, reprend Geneviève Damas. "Celui-ci aurait induit un rapport instrumental à la nature, en mettant la relation entre les humains et un Dieu transcendant au centre de l’échelle des valeurs. Comment le christianisme est-il compatible avec les exigences d’une défense coordonnée des écosystèmes?" Les rapports de domination (sur la femme, sur le Sud...) sont clairement visés. Et la contribution du christianisme à ces rapports est pointée du doigt. Les torts sont toutefois partagés: "Entendez-moi bien, cher Pape François, ce sont là des questions que je vous pose autant qu’à moi-même, tant la position morale de surplomb est pour beaucoup de chrétiens, et beaucoup d’universitaires, comme une seconde nature."

Les grandes absentes

La mise en cause se précise: "que signifie pour l’Eglise catholique la notion de 'développement intégral'? L’Eglise est-elle prête à déployer cette notion dans une perspective intersectionnelle? C’est-à-dire en prenant en compte les inégalités de classe, de genre et de race? L’appel à un développement intégral nous paraît peu compatible avec les positions sur l’homosexualité et avec la place des femmes dans l’Eglise catholique".

La place des femmes est particulièrement visée: "Les femmes sont les grandes absentes de Laudato si’. Vous me direz peut-être que la question du 'soin' à la 'maison commune' qu’est notre Terre-mère est une interpellation directe à la vocation féminine. Mais n’est-ce pas autant le cas de hommes?" (...) Et encore: "Quelle place, donc, pour les femmes dans l’Eglise?", supplie presque Geneviève Damas. Qui regrette notamment qu'aucune théologienne ne soit citée dans Laudato si'.

Parallèlement, Geneviève Damas reconnaît que l'UCLouvain a encore du chemin à faire sur le chemin des transitions. "Mais on progresse!", pointe la comédienne. Référence est aussi faite à... Saint François d'Assise ("saint patron de notre paroisse étudiante"). "La communauté monastique franciscaine, où la pauvreté se vit sous le mode du partage des biens, garde toute son actualité."

"C'est un blasphème"

Au terme de la prise de parole, les divers intervenants passent auprès du Pape, qui leur offre un présent (un chapelet?). Vient ensuite le temps de la réponse... Le Pape tente de rejoindre ses interlocuteurs. "Je sens dans [vos] mots de la passion et de l’espérance, du désir de justice, de la recherche de vérité." L'homme dénonce ensuite le mal et les guerres (et, comme à Laeken, le trafic des armes!). "Parfois, ces maux polluent la religion elle-même qui devient un instrument de domination. Mais c’est un blasphème."

Le Pape fait ensuite l'éloge de l'espérance et de la reconnaissance. "Cette maison nous est donnée: nous n’en sommes pas les maîtres, nous sommes des hôtes et des pèlerins sur la terre. Le premier à en prendre soin est Dieu." Et encore: "aucun plan de développement ne pourra réussir si l’arrogance, la violence et la rivalité demeurent dans nos consciences. Il faut aller à la source du problème qui est le cœur de l’homme". Le Pape vise clairement le pouvoir de l'argent. Et l'homme de rappeler ce que sa grand-mère lui disait: "c'est par tes poches que rentre le mal"...

"J'ai apprécié ce que tu as dit"

Arrive le sujet (sans doute le plus) sensible: la place des femmes. "J'ai apprécié ce que tu as dis", pointe le Pape, hors discours officiel, se tournant vers Geneviève Damas - et s'attirant les sympathies de l'assemblée. Le discours, cependant, ne manque pas de clarté: "L’Eglise est le peuple de Dieu. Elle est femme, épouse. (...) Ce qui caractérise la femme, ce qui est féminin, n’est pas déterminé par le consensus ou les idéologies. Et la dignité est garantie par une loi originelle, non pas écrite sur le papier, mais dans la chair."

Le Pape insiste sur la complémentarité entre homme et femme. Deux êtres appelés à vivre en relation, en communion. "Non pas l’un contre l’autre, ce serait le féminisme ou le machisme, mais l’un pour l’autre." Et d'en revenir à la théologie: "la femme est au cœur de l’événement salvifique. C’est par le “oui” de Marie
que Dieu en personne vient dans le monde."
Et, hors discours: "la femme est plus importante que l'homme mais c'est moche quand la femme veut faire l'homme". Le sujet lui tient manifestement à coeur: "L'Eglise est femme", reprendra-t-il.

La vérité avant la liberté

Tout au long de son intervention, c'est particulièrement aux étudiants qu'il s'adresse. Au terme du discours, c'est à eux qu'il rappelle le sens des études: "Nous étudions pour être en mesure d’éduquer et servir les autres, avant tout par le service de la compétence et de l’autorité. Avant de se demander si étudier sert à quelque chose, préoccupons-nous de servir quelqu’un. (...) Le diplôme universitaire atteste alors d’une capacité pour le bien commun."

Pour le Pape, une université catholique est une université qui recherche la vérité - avant la liberté. "Sans vérité, notre vie perd son sens. (...) Voulez-vous la liberté ? Soyez des chercheurs et des témoins de la vérité!" Et de conclure: "ainsi, cette Université devient, chaque jour, ce qu’elle veut être, c’est-à-dire une Université catholique".

👉 Ce “C” qui met l’Université catholique de Louvain dans un certain embarras…

Le Pape s'exprime en français

Manifestement de belle humeur, le Pape salue encore Geneviève Damas - "merci à toi, tu as été excellente". Comme de coutume, il demande ensuite que l'on prie pour lui. Et, s'adaptant à son public, il ajoute: "si vous ne voulez pas prier pour moi, envoyez-moi de bonnes vibrations, j'en ai besoin." Les applaudissements sont particulièrement nourris (y compris de la part des quelques milliers de personnes qui attendent à l'extérieur).

Le dialogue a été un brin étonnant, mais particulièrement chaleureux. Fait rare: c'est en français qu'il offre sa bénédiction finale à l'auditoire. Le Pape file ensuite à l'arrière de l'Aula Magna, où il reçoit (et porte très brièvement) une calotte estudiantine. Avant de vivre un bain de foule... sous un (aveuglant) soleil.


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