La liberté d’expression existe-t-elle encore en 2024 ?


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La liberté d’expression existe-t-elle encore en 2024 ?
Réseaux sociaux (source: CCO Pixabay/Mike Renpening)
Par Armelle Delmelle
Publié le - Modifié le
3 min

La liberté d’expression est un droit fondamental, essentiel à la démocratie. Pourtant, à l’ère du numérique, ce droit semble de plus en plus encadré, voire restreint. Un phénomène qui suscite des interrogations légitimes : sommes-nous toujours libres de nous exprimer ?

La liberté d'expression était le thème de notre émission Décryptages cette semaine. Entre les discours biaisés dans les débats politiques, les restrictions imposées à certaines plateformes numériques, ou encore la pression croissante pour un contrôle de l'information, la question mérite d’être posée : la liberté d’expression est-elle réellement en péril, même dans un pays comme la Belgique, où elle est protégée par la Constitution ? Car, bien que ce droit soit garanti, la loi en fixe également les premières limites.

Qu’est-ce que la liberté d’expression ?

Benoit Bourgine, professeur de théologie à l’UCLouvain, nous rappelle que la liberté d’expression est un héritage précieux, issu de plusieurs traditions : « C'est un droit que nous avons reçu de la Grèce, du christianisme et des universités européennes. » Pour lui, cette liberté est indissociable de la quête de vérité. « Pour faire de la science, il faut échanger, formuler des objections, écouter des nouvelles idées », explique-t-il. « Évidemment, il n'y a pas de démocratie sans liberté d'expression. »

Rik Torfs, recteur émérite de la KULeuven, partage ce point de vue : « .Les idées qui dérangent ou choquent sont souvent le moteur du débat, la seule manière d’éviter qu'il ne tourne en rond » Toutefois, il précise que la définition de la liberté d’expression n’est pas la même selon les contextes. « La Cour européenne des droits de l’homme considère la liberté d’expression comme bénéfique pour le bien commun. Le droit canonique, quant à lui, l’accepte uniquement si elle est utile au bien commun. Ce n’est pas la même chose », ajoute-t-il, tout en avouant préférer la première approche.

Les limites légitimes

La question des limites de la liberté d’expression se pose dès lors que nous considérons son impact sur autrui : « La liberté de l’un s’arrête là où commence celle de l’autre ». Benoit Bourgine introduit ici la pensée de Kant : « Pour Kant, il s’agit de la dignité, non seulement du citoyen, mais de l’acte de penser. Penser n’est pas seulement un acte théorique, c’est un besoin profond de l’esprit qui exprime sa dignité. »

Par ailleurs, notre législation prévoit des restrictions claires. En Belgique, la loi interdit notamment l’incitation à la haine et à la violence. Cependant, Bourgine s’interroge : « Qui définit ce qu’est la haine ? Et comment ? La haine de la tyrannie ou du totalitarisme, par exemple, n’est-elle pas à encourager ? » Il précise néanmoins que la haine dirigée contre des personnes, et les discriminations qui en découlent, doivent être proscrites.

La liberté d’expression à l’ère du numérique

À l’heure des réseaux sociaux, de nouvelles questions surgissent. Ces plateformes sont devenues des espaces d’expression privilégiés, mais leur gestion pose un problème aux autorités. Pavel Durov, le fondateur de Telegram, a été arrêté en France pour avoir insuffisamment modéré sa plateforme. Au Brésil, c’est X (anciennement Twitter) qui a été interdit par la Cour suprême, accusant son propriétaire, Elon Musk, de violer les lois locales.

Selon Rik Torfs, « si l’on veut convaincre, ce n’est pas par l’interdiction qu’on y parviendra, mais par une discussion civilisée. » Pourtant, dans un monde où les fausses informations circulent rapidement, ne faudrait-il pas mieux contrôler les propos tenus en ligne ? Rik Torfs cite Nietzsche en réponse à cette question : « Il n’y a pas de faits, il n’y a que des interprétations. » À force de vouloir tout vérifier, nous risquons de perdre de vue la complexité de la réalité.

En conclusion, nos décrypteurs estiment que la liberté d’expression doit être totale, tant qu’elle respecte les autres et favorise un débat serein. Et cela, quel que soit le support utilisé.

 

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