La dissolution de l'Assemblée nationale "a placé notre pays dans un trouble inattendu" déclare la conférence épiscopale de France. Ne pointant pas explicitement la menace de l'extrême-droite, l'Eglise française écrit toutefois que le résultat des élections européennes, marquée par une large victoire du RN, "est un symptôme de plus d’une société inquiète, douloureuse, divisée."
Pour surmonter ces "peurs" , les évêques formulent une prière de "discernement" qui sera lue au cours des messes dans les prochains jours (à retrouver en bas de l'article).
Les catholiques pratiquants : de plus en plus nombreux à voter à l'extrême droite
Le 12 juin dernier, nous apprenions sur base d'un sondage Ifop pour La Croix, que les catholiques pratiquants avaient voté à 42% pour des listes situées à l’extrême droite lors des élections européennes.
Ainsi, un tiers de l'électorat catholique pratiquant (32 %) a glissé dans l'urne un bulletin pour la liste du Rassemblement national (RN) conduite par Jordan Bardella. La liste 'Reconquête !' menée par Marion Maréchal, qui avait résolument joué la carte de la défense de l’identité chrétienne durant sa campagne récoltait quant à elle 10% des voix catholiques.
Si ces scores sont globalement très proches de l'ensemble des Français, force est de constater que l'électorat catholique, pourtant longtemps réticent à voter pour le Front National, ne fait aujourd'hui plus barrage à l'extrême droite. Ainsi, les suffrages recueillis par l’extrême droite de la part des catholiques de France ont plus que doublé par rapport aux élections européennes précédentes : 42 % en 2024, contre 18 % en 2019.
A l'inverse, seulement 28 % des catholiques pratiquants réguliers ont voté pour des listes de gauche. La liste macroniste, menée par Valérie Hayer, n’a quant à elle convaincu que 12 % des pratiquants.
À l'image de la société française, de nombreux catholiques sont déchirés par les enjeux du scrutin historique que seront les prochaines élections législatives. Ils étaient beaucoup à espérer une prise de position de leurs évêques, espérant obtenir des critères de discernement pour les aider à faire leur choix.
C'est aujourd'hui chose faite...
Pas de consigne de vote
Dans un communiqué paru ce jeudi 20 juin, la Conférence des évêques de France exprime sa préoccupation face aux enjeux actuels du pays, à dix jours des élections législatives. Bien que les évêques ne donnent aucune consigne de vote, ils proposent des critères de discernement pour guider les catholiques dans leur responsabilité démocratique.
"La dissolution de l’Assemblée nationale a placé notre pays dans un trouble inattendu. Comme tous nos concitoyens, nous, catholiques, avons à exercer notre responsabilité démocratique", écrivent les évêques de France. Ils rappellent que, bien que les élections soient cruciales, elles ne résoudront pas tous les problèmes. Toutefois, en tant que chrétiens, nous avons à cœur d'être des citoyens responsables et ainsi "apporter notre contribution à la qualité de la vie démocratique et sociale de notre pays."
Les évêques pointent un malaise social profond, lié à l'individualisme et à l'affaiblissement des liens sociaux : "Le malaise social que nous constatons [...] tient aussi à l’individualisme et à l’égoïsme dans lesquels nos sociétés se laissent entraîner depuis des décennies, à la fragilisation des familles, à la pression de la consommation, à l’affaiblissement de notre sens du respect de la vie humaine, à l’effacement de Dieu dans la conscience commune."
Ils ajoutent que les responsables politiques ne peuvent pas tout résoudre seuls : "Ils ne peuvent agir qu’en fonction de la détermination de tous à agir pour le bien commun."
Enfin, ils appellent à la paix et à la fraternité au lendemain des élections, exhortant chacun à respecter les opinions divergentes et à œuvrer pour le bien commun : "Nous aurons encore et toujours à respecter nos concitoyens qui auront d’autres opinions que les nôtres et à œuvrer ensemble à la continuité et à l’amélioration de notre vie sociale commune. Nous, catholiques, nous le ferons en puisant dans la grâce de Dieu... pour surmonter peurs, colères, angoisses et pour être des « artisans de paix » et des acteurs de l’amitié sociale."
"Demain, chacun devra toujours s’inquiéter de ceux qui vont moins bien que lui."
Évêques du Conseil Permanent de la CEF à l’attention des fidèles
Contrairement à leurs homologues allemands qui appelaient à ne pas voter pour le parti d'extrême-droite AfD aux dernières élections européennes, les évêques de France s'abstiennent de tout commentaire sur le Rassemblement National. Et ce, malgré l'appel de 6 000 chrétiens français à voter contre l'extrême-droite aux prochaines législatives, "au nom de la foi".
Se tourner vers la prière : "Dieu, aide-nous à discerner correctement ce qui est juste"
En fin de communiqué, le Conseil Permanent de la Conférence des évêques de France -composé entre autres de Mgr de Moulins-Beaufort, Mgr Jordy et Mgr Ulrich- adresse une prière à l'attention des fidèles. Celle-ci sera insérée dans les feuilles paroissiales et lue au cours des messes dans les prochains jours.
« Dieu de vérité et de bonté, en ces temps de décisions fortes pour notre pays la France, aide-nous à discerner correctement ce qui est juste.
Renouvelle en nous, chaque matin, le goût de servir, pour que nous accomplissions nos tâches
avec cœur et garde-nous de mépriser quelque être humain que ce soit.
Viens, Esprit-Saint, éclairer ceux et celles qui seront choisis comme députés ou auront à
gouverner notre pays.
Qu’ils puissent ensemble chercher le meilleur pour nous tous. Imprime en eux un grand sens du
service du bien commun.
Sainte Vierge Marie, sainte Jeanne d’Arc, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, patronnes de la
France, veillez sur notre pays. Qu’il soit une terre de liberté, de justice, de fraternité et se tienne
à la hauteur de son rôle dans l’histoire.
Aidez-nous à y être, à notre modeste place mais selon toute notre responsabilité, des disciples
de l’Évangile. Amen. »
C.L. (avec La Croix et cp)