Hicham Abdel Gawad : « Cueillir en soi ce qu’il y a de plus précieux pour l’offrir au monde »


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Hicham Abdel Gawad : « Cueillir en soi ce qu’il y a de plus précieux pour l’offrir au monde »
Babur supervisant l'aménagement du Jardin de la Fidélité, peinture par Bishandas, circa 1590.
Par Hicham Abdel Gawad
Publié le
3 min

Dans les dédales labyrinthiques de la vie, chaque individu peut être considéré comme une fleur unique, attendant d’être découverte, appréciée et cueillie dans le vaste jardin des relations humaines.

Diversité

Chaque interaction offre ainsi une occasion d’explorer les nuances de l’expérience humaine, de nouer des liens profonds avec autrui et de découvrir une richesse qui réside dans la diversité de notre monde et qui n’est pas réductible au monde matériel.

Autrement dit: cueillir dans une sorte de jardin de l’existence. Un art délicat qui demande patience, sensibilité et compassion. Cueillir le moment présent avec l’Autre et reconnaître la valeur intrinsèque de chaque individu, quelles que soient son origine, son histoire ou ses croyances. Le Coran va dans ce sens en déclarant S. 49, v. 13: "Ô humains! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entreconnaissiez. Le plus noble d’entre vous, auprès de Dieu, est le plus pieux. Dieu est certes Omniscient et Grand-Connaisseur." Cueillir et accueillir la diversité comme une source de richesse et de croissance, et être ouvert aux leçons précieuses que chaque personne peut nous offrir. Le fait que ce verset présente la différence comme une décision divine octroie dès lors à la différence un statut de sacralité.

Pour autant, dans notre quête de compréhension et de connexion avec autrui, nous sommes souvent confrontés à la vulnérabilité et à la fragilité de l’être humain. Cueillir dans le jardin des relations humaines, ce n’est donc pas juste s’entreconnaître.

Cœur vivant

C’est aussi (et peut-être même, surtout?) être prêt à écouter, à comprendre et à partager autant les joies que les peines de l’Autre. L’art de cueillir le moment présent avec l’Autre devient, dès lors et en quelque sorte, l’art de l’empathie. Dans la tradition islamique, l’empathie s’identifie à la "compréhension du cœur", une compréhension qui se situe au-delà du calculable et du mesurable, c’est-à-dire ce que d’aucuns appellent "le cognitif".

On parle ainsi de "cœur vivant" pour celui qui est capable de recevoir l’expérience de l’Autre comme la sienne. On parlera au contraire de cœur mort pour celui qui est privé de cette capacité, enfermé dans les constrictions de son propre ego. Une tradition islamique connue va même jusqu’à faire dire à Dieu: "Ni ma terre ni mon ciel ne Me contiennent, mais le cœur de l’humain Me contient". Le cœur comme siège du Divin.

Cueillir, c’est aussi donner de soi-même. Cueillir en soi ce qu’il y a de plus précieux pour l’offrir au monde. Ce n’est réellement possible que par une prise de conscience de notre propre impact sur le monde qui nous entoure. Chaque mot, chaque geste, chaque choix que nous faisons peut avoir des répercussions profondes sur les autres, pour le meilleur ou pour le pire. C’est pourquoi avant de cueillir en soi, il convient de cultiver en soi.

Là se trouve peut-être le propre d’une religiosité bien menée. Loin d’un ritualisme dénué de sens ou d’une foi qui se suffit à elle-même. Mais plutôt comme un moyen de cultiver un cœur vivant. Un cœur qui, conformément à la tradition citée plus haut, pourra accueillir Dieu en lui, avant de s’offrir au monde pour être cueilli, dans le jardin de l’existence.

Hicham Abdel Gawad
Docteur en sciences des religions de l’UCLouvain,
conférencier, auteur de plusieurs articles et livres.

Catégorie : Sens et foi

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