Alors que beaucoup de familles se sont recueillies sur les lieux de sépulture de leurs proches défunts début novembre, qu'en est-il pour ceux qui n'ont plus accès aux tombes de leurs familles ? Gros plan sur quelques 2.000 sépultures entre la Tanzanie et l'Ouganda qui sont menacées par la construction d'un grand oléoduc en Afrique.
Ce n'est pas la première fois que le collectif GreenFaith s'invite sous le feu des projecteurs. Habituellement, les personnalités religieuses qui le composent s'illustrent par des manifestations publiques pour une plus grande justice climatique, un respect de la biodiversité, et la défense des droits humains.
Découvrir une précédente manifestation devant une station essence
Ce jeudi 9 novembre, GreenFaith présentait un rapport richement documenté intitulé "Comme si rien n'était sacré". Martin Kopp, coordinateur de GreenFaith France, relève pourtant : "Nous ne sommes habituellement pas une ONG d'expertise, nous ne rédigeons pas de rapports."
Dans ce cas-ci, pourtant ce sujet des tombes et sépultures méritait ce travail d'analyse de terrain, pour pouvoir alerter l'opinion internationale. D'un côté donc, TotalEnergies prépare la construction d'un oléoduc long de 1.400 kilomètres, avec l'accord des gouvernements de l'Ouganda et de la Tanzanie. De l'autre côté, des milliers de familles se trouvent impactées par les conséquences des travaux.
"GreenFaith a travaillé sur le terrain avec des communautés qui vivent tout au long du tracé de l'oléoduc", résume ce rapport de 31 pages. Quatre chercheurs se sont intéressés dans des régions spécifiques, au sort des sépultures contrariées par la construction de ce projet. "Les membres de ces communautés locales ont également confié", poursuit le rapport, que la compagnie pétrolière avait "porté atteinte ou manqué de respect aux sépultures de leurs familles ou de leurs ancêtres".
Combien coûte un nouvel enterrement ?
Face à ces grands travaux entamés par la compagnies pétrolière, plusieurs cas de figure peuvent se présenter.
- Quand la sépulture a "des marqueurs visibles extérieurs", soit une croix ou une pierre tombale, certaines familles ont obtenu que la tombe de leurs défunts soit "relocalisée". Normalement, les autorités porteuses du projet d'oléoduc doivent indemniser à hauteur du préjudice pour permettre la réinhumation du défunt en un autre lieu.
- Dans le cas où l'emplacement des sépultures est moins visible, la tombe est dite "nue". GreenFaith rappelle pourtant: "Les représentants du projet se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires ou d'utiliser les techniques de recherche avancées comme les radars de sol" et ce même quand il avait été signalé "que des tombes étaient situées sur les sites des chantier proposés."
Sur un plan économique, les témoignages rapportés par GreenFaith révèlent que les familles concernées n'ont pas toutes reçu le montant nécessaire. Un enterrement dans la tradition de certaines régions suppose d'inviter la famille, les oncles, les tantes et les amis, et donc de nourrir toutes ces personnes. Pour une réinhumation, les besoins sont les mêmes.
Si on ne considère que les rites, "certaines familles ne permettent le transport du cercueil que s'il est porté par des oncles, ou par un prêtre", explique Martin Kopp, coordinateur de GreenFaith France. La compagnie pétrolière internationale n'a, selon les témoignages recueillis, pas toujours respecté ces coutumes.
Torture psychologique et violence spirituelle
Le jour même de la sortie du rapport signé GreenFaith, les évêques d'Ouganda et de Tanzanie signaient un communiqué. Ils y dénoncent le manque de considération pour la dernière demeure de leurs ancêtres. "Mais découvrir que même les morts ne reposeraient pas en paix dans plus de 2.000 tombes anonymes équivaut à saccager tout ce qui est sacré pour un Africain. Toute perturbation de ces tombes constitue une torture psychologique."
Cette longue déclaration dénonce les effets néfastes du projet soutenu par TotalEnergies et les gouvernements d'Ouganda et de Tanzanie. Les chefs religieux concluent: "Nous ne pouvons ignorer les blessures et les traumatismes spirituels, traditionnels et culturels que ce projet pose aux communautés affectées. Nous sommes en Afrique, où tout héritage est sacré."
En Europe aussi, souligne Martin Kopp de GreenFaith, les sépultures de nos défunts sont respectées. "Même si nos sociétés sont sécularisées, les tombes restent l'un des seuls lieux où règne le sentiment de sacré!" Et pourtant des entrepreneurs n'hésitent pas à bousculer les traditions de deuil chez d'autres habitants de la planète, au nom d'un intérêt financier.
Anne-Françoise de Beaudrap