Agnès Desarthe entraîne le lecteur dans une plongée au pays des souvenirs, ceux de son enfance. C'est l'occasion de sonder un royaume, celui du Château des Rentiers, qui a donné son titre au livre.
"J'envisageais l'arrivée des rides avec sérénité, songeant qu'elles étaient préférables à l'acné", nous confie l'écrivaine, qui cumule les fonctions et les activités dans un tourbillon inspirant.
Les années passant, Agnès Desarthe se remémore la vie de ses grands-parents, Tsila et Boris, au même âge que le sien. Ce faisant, elle met en évidence un mode de vie, celui propre à un "phalanstère", un groupe de gens qui partagent un espace de vie communautaire. "Avaient-ils compris que la vieillesse est plus âpre quand elle est solitaire ?", songe-t-elle. Réfutant l'idée des Etablissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, ces fameux EHPAD à la notoriété contestée, la quinquagénaire décide alors d'imaginer son propre lieu de vie, pour vieillir en compagnie des gens qu'elle affectionne. Ce projet rallie architecte, comptable, banquière, séduits par son idée d'hospice autogéré.
Un savoir-vivre remarquable
Loin d'être des nantis, les résidents du Château des Rentiers, une vilaine tour parisienne construite dans le XIIIe arrondissement, sont des rescapés originaires de Bessarabie, en Europe centrale. Sur leurs poignets se trouvent tatoués de mystérieux chiffres. "Si j'avais été sérieuse, j'aurais posé des questions, je me serais intéressée à ces gens, mais je pensais qu'ils seraient là pour toujours, comme mon enfance qui durerait éternellement." De ses aïeux dont les tombes ne sont pas toutes connues, Agnès Desarthe a retenu une leçon : "il faut s'efforcer d'être joyeux, par pudeur, par politesse, quitte à ce que les autres pensent que tu ne souffres pas". Pour l'accompagner dans cette ronde des souvenirs, sa mère et sa grand-mère, comme des matriochkas, prennent, tour à tour, la parole, prouvant que la littérature a le pouvoir d'anéantir la mort.
Construit comme un kaléidoscope, Le Château des Rentiers est un hymne formidable à la vie, celle qui passe mais ne nous atteint pas dans notre essence.
Angélique TASIAUX
Agnès Desarthe, Le Château des Rentiers. Editions de l'Olivier, 2023, 224 pages.