Pour Stijn Van den Bossche, docteur en théologie, le chemin est encore long pour penser et agir de manière véritablement synodale. Le cléricalisme et ses symboles (col romain, titulature) restent bien vivaces au sein de l’Eglise.

Toutes sortes de mesures sont aujourd’hui proposées dans l’Eglise pour lutter contre l’abus de pouvoir clérical, dérive qui explique en grande partie les abus sexuels. Mais il faut aussi changer la culture cléricale de l’Eglise. Depuis le concile de Trente, le prêtre est défini surtout comme représentant sacramentellement la figure du Christ (in persona Christi), face au corps de la communauté ecclésiale.
Malheureusement, ce qui ne devait être qu’une caractéristique sacerdotale distinctive – et surtout liturgique – devint rapidement la quasi-totalité de l’identité du prêtre et de son identité pastorale. Le danger devient alors très grand que le prêtre "un peu moins saint" commence à se prendre pour le Christ, avec toute la "dignité" que cela implique. Cette image sacerdotale conduit donc facilement à l’auto-exaltation et à l’abus de pouvoir.
Je voudrais ici d’abord montrer que nous avons encore du travail à faire avant de penser et d’agir de manière véritablement synodale, pour proposer ensuite le retour à une identité du prêtre comme berger.
Etre (ou pas) reconnaissable
Jusqu’au Ve siècle, l’Eglise demandait au clergé de porter des vêtements simples. Puis l’Eglise a exigé du prêtre qu’il soit reconnaissable. Suite au concile de Trente, le vêtement sacerdotal prend la forme d’une soutane avec un haut col. Lorsque cette dernière a été supprimée par Vatican II, le col est resté comme une relique.
Aujourd’hui, nous parlons tous de synodalité, mais, en même temps, on voit de plus en plus de jeunes prêtres porter à nouveau un col romain. J’ai de bons amis parmi eux et je ne blâme personne, mais je pose la question: si les bergers du pape François doivent sentir comme des brebis, ne devraient-ils pas aussi ressembler un peu plus à des brebis? Avec la fin de la chrétienté, le contre-argument de la reconnaissabilité n’a plus la même portée. Il n’est pas certain qu’aujourd’hui, sur la place publique, il soit important que tout le monde puisse voir immédiatement que quelqu’un est prêtre… Une petite croix permet également de reconnaître le prêtre, de manière plus modeste. Mais ces prêtres portent toujours un col romain, même là où on les connaît bien. Il s’agit donc plus profondément de se montrer différent, de former un autre état, qui représente le surnaturel.
Parce que le grand théologien Karl Rahner n’avait pas voulu porter ce col qui symbolise cet autre état, il n’avait pas été autorisé à se faire photographier avec le pape Paul VI…
L’expansion de la concélébration
La concélébration fut autorisée par Vatican II afin que chaque prêtre n’ait pas à célébrer séparément chaque jour. La troisième session du Concile a ainsi commencé par la première concélébration. Il y avait 24 concélébrants, parmi 2.000 évêques présents.
Mais à l’ordination de Mgr Terlinden il y a quelques semaines, que j’ai sincèrement trouvée très belle, on voyait, entre les fidèles et les évêques, une mer de 251 prêtres concélébrants et de diacres assistants. S’agissait-il encore d’une expression de collégialité ou plutôt d’un état clérical à part entière? Comment cela serait-il perçu symboliquement par un observateur extérieur de notre liturgie? Pour ce dernier, il était aussi frappant de constater qu’il n’y avait pas une seule femme… Synodal?
Relire l'analyse de cette célébration d'ordination dans Dimanche / CathoBel
Un titre pour tout ecclésiastique
Enfin, il y a cette vieille douleur: la titulature cléricale… Un autre grand théologien, Hans Urs von Balthasar, s’était agenouillé devant le pape pour lui demander de supprimer cela. Un ordonné est au moins révérend, jusqu’à très révérend. Chanoine peut encore avoir quelque sens. Ensuite vient monseigneur, qui peut être mineur ou majeur. L’évêque est une excellence, un cardinal devient une éminence. Tous ces titres sont reconnaissables par les initiés grâce à des accessoires dans la tenue vestimentaire. Mais en quoi tout cela est-il biblique…?
Mon titre devient ainsi plus clair: la soutane (en tant que pars pro toto) est un véritable Satan, éprouvant la vraie synodalité avec de nombreux clercs – des diacres aux évêques – succombant à la tentation cléricale. Car à la synodalité s’oppose le cléricalisme, dans lequel l’ordination signifie devenir une forme supérieure de chrétien, une valeur ajoutée par rapport au baptême, plutôt qu’un équipement pour un service aux fidèles, le service de berger.
Brebis et berger
Depuis les premiers siècles, l’image qui rend parfaitement compte de l’identité du prêtre est celle du berger – en latin pastor. Un berger conduit ses brebis en les servant. Il se donne entièrement pour elles. Son magistère est un ministère. Il s’agit donc ici de "diriger en servant", et non de "servir en dirigeant", comme on l’associe à tort à l’in persona Christi.
Certes, un berger peut aussi abuser du pouvoir. Il suffit de lire Ezéchiel 34. C’est pourquoi un berger reste d’abord et toujours une brebis. Cela vaut d’ailleurs aussi pour Jésus: le Bon Pasteur est l’Agneau de Dieu.