L'espérance... oui mais, et si? Pour cela, ne nous endormons pas, comme les dix jeunes filles de cette parabole racontée par Jésus à ses disciples...
Vivre avec le Christ, c’est vivre la joie des noces. A celles-ci, à travers les dix jeunes filles, c’est l’humanité entière qui est invitée; encore faut-il tenir dans la durée. C’est sans doute l’expérience, douloureuse que font les premières communautés chrétiennes: "Quand va-t-il revenir, celui que nous attendons, quand viendra-t-il enfin au cœur de notre nuit?" En ces temps tellement noirs pour notre Eglise et notre monde, n’est-ce pas aussi notre demande; n’est-ce pas aussi notre espérance?
Car c’est bien de cela qu’il s’agit: espérer contre toute espérance; oser croire quand tout nous invite à ne plus y croire, à ne plus le croire. Mais notre espérance est tout sauf une espérance attentiste, assis au bord de la route avec ce risque de nous endormir, comme les dix filles. Si notre espérance est vide, elle ne résistera pas au temps. Il nous faut de l’huile; cette huile qu’il nous est impossible de partager, parce qu’elle est au cœur de notre cœur.
Paradoxalement, on pourrait dire que notre huile, c’est le vide. Nous avons vécu avec le Christ de belles choses; il nous semblait que nous pouvions presque le toucher du doigt et voilà que son absence crée un grand vide. Avoir notre provision d’huile, cela ne pourrait-il pas simplement ne pas nous habituer à cette absence, laisser ce creux en nous. En quelque sorte, c’est "le vide qui est le plein". Mais nous n’aimons pas le vide, et au fil du temps, nous tenterons de le remplir; de le remplir par l’eau morte du puits de la Samaritaine ou par celui de l’eau des cuves de Cana. Les cinq censées, même si elles se sont endormies, avaient gardé en elles ce désir de l’Autre, elles avaient creusé ce désir et en l’espérant activement, voilà que le vide s’est rempli; il était habité. Habité par sa présence au milieu de son absence. Les autres que nous sommes si souvent ont usé leur espérance, et elles sont parties ailleurs pour tenter de la renouveler.
Mais elles sont allées ailleurs, alors que l’époux arrivait. Si tant de voix nous disent son absence, il en est une qui hurle dans le désert: "Le Seigneur ne t’a pas oubliée, sa fidélité est de toujours, il vient et ne cesse de venir." Les premières sont entrées au banquet de l’amour alors que les secondes sont parties vers d’autres cieux. Et si elles étaient restées avec les autres au bord du chemin; et si elles avaient attendu l’Epoux en lui disant qu’elles avaient perdu l’espérance, mais qu’elles avaient toujours la foi. Et si elles avaient dit au Seigneur: "Ton amour n’est-il pas plus grand que notre manque d’espérance?" Leur aurait-il dit: "je ne vous connais pas", ou comme le Père du fils, aurait-il ouvert les bras et fait tuer le veau gras?
Chanoine Pierre HANNOSSET
Photo: Friedrich Wilhelm von Schadow, entre 1838 et 1842