Doit-on béatifier (et canoniser) les papes?


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Doit-on béatifier (et canoniser) les papes?
Par Sophie Delhalle
Publié le - Modifié le
6 min

Au lendemain de la béatification du pape Jean-Paul Ier (dont le pontificat n'aura duré que 33 jours), une question se pose à nouveau. Doit-on vraiment béatifier (et canoniser) les papes? Depuis la Seconde Guerre mondiale, quatre des sept papes ayant régné ont ainsi été béatifiés/canonisés.

béatification Jean Paul Ier
La météo ne fut pas très souriante, à l'inverse du béatifié du jour. (c) capture d'écran Vatican News

La béatification du pape Jean-Paul Ier a eu lieu ce dimanche 4 septembre au cours d'une messe célébrée Place Saint-Pierre par François. Le nouveau bienheureux sera fêté le 26 août, jour de son élection comme souverain pontife.

Le fils de Pepone et Don Camillo

Originaire de la province de Belluno en Italie, Albino Luciani est le fils d'un ouvrier anticlérical et d'une mère catholique fervente. Il a donc grandi dans un milieu rural, pauvre, il aurait même souffert de la faim pendant son enfance. Sa situation familiale ne peut nous empêcher de penser aux films de Pepone, maire communiste d'un petit village italien, et Don Camillo, prêtre joué par Fernandel.

Depuis l'été 2019, il est même possible de visiter sa maison natale. La mère d'Albino l'encourage sur la voie cléricale. Après le grand séminaire de Belluno, il rejoint l'université pontificale grégorienne à Rome où il obtient un doctorat en théologie.

Ordonné prêtre en 1935, il retourne vivre dans sa bourgade natale. Il ne cessera alors de gravir les échelons: évêque en 1958, patriarche de Venise en 1969, vice-président de la conférence des évêques italiens trois ans plus tard et enfin cardinal en 1973.

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Un style décomplexé

Albino Luciani a donc choisi les noms de ses deux prédécesseurs pour marquer sa volonté de poursuivre l'esprit du Concile Vatican II. Le nouveau pape fut rapidement baptisé "le pape au sourire". De caractère humble et généreux, il sut néanmoins se montrer ferme. Dès avant son élection, il avait appris que deux prêtres spéculaient avec l'argent des paroissiens, il a alors remboursé toutes les victimes en vendant un bâtiment et des trésors ecclésiastiques. Aussi sous son pontificat, il vendit la croix pectorale offerte par Jean XXIII pour financer la création d'un centre pour handicapés mentaux.

Son style se rapproche assez de celui de l'actuel pape, François. Dans sa première audience générale, Jean Paul Ier appelle un enfant près de lui pour dialoguer. Il prend également l'habitude de parler en "je".

Deux guérisons miraculeuses

Après sa mort, de nombreux fidèles ont demandé l’ouverture de la cause en béatification d’Albino Luciani. Une pétition signée par les évêques brésiliens en 1990 était à l’origine de la procédure. La cause en béatification a été renforcée par la guérison d’une tumeur en 1992, de Giuseppe Denora, un italien habitant Altamura, dans la province des Pouilles. C'est la guérison, à Buenos Aires en 2011, d'une fillette de 11 ans gravement malade et mourante grâce aux prières d’un prêtre ayant invoqué Jean-Paul Ier qui a permis de faire aboutir le procès en béatification.

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Prier Jean-Paul Ier pour obtenir le "sourire de l'âme"

«Il a incarné la pauvreté du disciple, qui n’est pas seulement se détacher des biens matériels, mais surtout vaincre la tentation de mettre son moi au centre ou de chercher sa gloire. Au contraire, suivant l’exemple de Jésus, il a été un pasteur doux et humble», a souligné le pape François, ce dimanche 4 septembre, en évoquant la figure du nouveau béatifié. «Il se considérait comme la poussière sur laquelle Dieu avait daigné écrire».

Le pape Luciani a réussi, par son sourire inaltérable, «à transmettre la bonté du Seigneur», a reconnu François, louant plus largement «une Eglise au visage joyeux, au visage serein, au visage souriant, qui ne ferme jamais les portes, qui n’endurcit pas les cœurs, qui ne se plaint pas et qui ne nourrit pas de ressentiment, qui n’est pas en colère (…) ni intolérante, qui ne se présente pas de manière hargneuse, qui ne souffre pas de nostalgie du passé en tombant dans le retour en arrière».

Le Saint-Père a conclu en encourageant les fidèles à prier le bienheureux Jean-Paul Ier afin d’"obtenir 'le sourire de l’âme'." Il a pour cela suggéré ses propres mots: «Seigneur, prends-moi comme je suis, avec mes défauts, avec mes manquements, mais fais-moi devenir comme tu désires que je sois»

🎥 Revoir la messe de béatification de Jean Paul Ier à Rome le 4 septembre 2022

(c) capture écran Vatican News

Pourquoi béatifie-t-on les papes?

Jean XXIII a été canonisé en même temps que Jean Paul II en 2014, Paul VI a été béatifié également en 2014 par le pape François. Pour ce qui concerne Pie XII, déclaré Vénérable par Jean-Paul II, sa cause est en attente... d'un miracle !

Ce processus qui vise à béatifier (ensuite canoniser) les papes est-il toujours justifié? Souhaitable pour l'Eglise? Est-ce une manière pour l'institution de verrouiller les portes de sa doctrine, en empêchant quiconque de contester la parole d'un bienheureux, (futur) saint?

L'abbé Eric de Beukelaer n'y voit, pour sa part, aucun risque de sacralisation de la parole papale, ou tout autre forme d'infaillabilité cachée. "ll n'y aurait rien de pire" affirme-t-il par ailleurs. "Il est important de remettre les choses à leur place", poursuit l'abbé.

De bons candidats

A côté de ses saints officiels, "il y a de très nombreux saints qui ne sont pas déclarés, si vous avez eu une grand-mère ou une voisine qui s'est dévouée aux pauvres, sa vie n'en est pas moins sainte parce qu'elle n'est pas connue." Les personnes canonisées le sont à titre d'exemple. "On choisit plus volontiers des personnes connues qui peuvent aider à la prière, des personnes dont le chemin de vie a rejoint pleinement le Seigneur" et nous invite à faire de même. En terme de notoriété et de piété, les papes sont en effet de bons candidats.

Un chemin de vie édifiant

L'abbé Eric de Beukelaer

Le chanoine liégeois nous rappelle qu'aux premiers siècles, tous les papes étaient canonisés, et que si l'un ne l'était pas, cela soulevait de graves interrogations à son égard. Toutefois, il ne serait pas bon de revenir à un tel systématisme, reconnaît-il. Aussi, "un saint n'est pas une personne qui n'a jamais commis d'erreur. C'est une personne avec un chemin édifiant de vie chrétienne, avec une aura spirituelle".

Et d'évoquer la figure de saint Jean-Paul II: "Pour l'avoir rencontré à plusieurs reprises, dans sa chapelle privée, je peux dire que Jean Paul II priait avec une telle intensité, il avait une manière incroyable de s'abîmer dans la prière, on le sentait en communion très étroite avec Dieu. Je ne doute pas une seconde de sa sainteté. Pour autant, il faut bien admettre que, homme de son temps, né derrière le rideau de fer, il a jeté toutes ses forces dans la lutte contre le communisme et n'a pas pris la mesure des abus sexuels qui sévissaient dans l'Eglise."

Sophie DELHALLE

Catégorie : Eglise monde

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