La 11e Assemblée du Conseil œcuménique des Églises s'est tenue à Karlsruhe, en Allemagne, du 31 août au 8 septembre 2022, sur le thème « L'amour du Christ mène le monde à la réconciliation et à l'unité ». Sur place, Steven H. Fuit, président de l'EPUB (Eglise Protestante Unie de Belgique), partageait ses impressions.
L'Assemblée, organe législatif suprême du Conseil œcuménique des Églises (COE), se réunit normalement tous les huit ans. Il s'agit du seul moment où l'ensemble de la communauté fraternelle des Églises membres se retrouve en un même lieu.
La réunion d'églises la plus vaste au monde
L'Assemblée du COE rassemble plus de 4 000 participants venus du monde entier. Elle constitue pour les Églises une occasion privilégiée d'approfondir leur engagement en faveur de l'unité visible et du témoignage commun. Ainsi l'Assemblée du COE est-elle la réunion d'Églises la plus vaste et la plus diverse au monde.
La 11e Assemblée du COE s'est donc déroulée à Karlsruhe (Allemagne), à l'invitation conjointe de l'Église évangélique d'Allemagne (EKD), de l'Église évangélique de Bade, du Conseil des Églises chrétiennes d'Allemagne, de l'Union des Églises protestantes d'Alsace et de Lorraine (UEPAL) et de l'Église évangélique réformée de Suisse.
Un discours engagé du président allemand Steinmeier
Après les premiers jours intensifs de l'Assemblée, Steven H. Fuit, président de l'EPUB, a partagé ses impressions, décrivant notamment une grande tension sous-jacente à la conférence. "Il y a eu des discours plus impressionnants, mais certains responsables d’Église osent à peine nommer les sujets source de tension et semblent fuir dans un langage abstrait."
"Pourquoi ?" se demande Steven H. Fuit. "Peut-être ne veulent-ils déranger personne ? Je le regrette profondément et j’en suis un peu fâché. Nous avons l’impression d’avoir manqué des occasions" écrit-il.
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Pourtant, on retiendra le discours du président fédéral allemand, Frank-Walter Steinmeier, qui a soutenu fermement l’Ukraine : “Nous devons nous élever contre la guerre et, en tant que communauté chrétienne, défendre la dignité et la liberté des Ukrainiens. La propagande et le nationalisme russes vont à l’encontre de la liberté des autres. Les délégués de l’Église orthodoxe russe doivent être informés de la vérité sur cette guerre horrible : c’est ce que j’attends de cette Assemblée" a-t-il notamment déclaré.
Un discours qui n'a pas manqué de faire réagir le chef de la délégation de l’Église orthodoxe russe, le métropolite Antoine de Volokolamsk.
Or, le Patriarcat de Moscou s’était réjoui que le COE ait rejeté la demande d’exclure la délégation russe de l’Assemblée du COE. En juin dernier, le comité central du COE avait refusé de suspendre l’Église orthodoxe russe, comme le lui avaient demandé différentes Églises, dont l'Église évangélique réformée de Suisse (EERS). Les efforts pour réunir à une même table des représentants ecclésiaux de la Russie et de l'Ukraine sont visiblement restés infructueux.
Les jeunes interpellent l'Assemblée du COE
Une atmosphère bouillonnante donc ... Mais au sens propre comme au sens figuré. Les jeunes ont pris la parole, expliquant que le Conseil mondial est le seul endroit où ils peuvent s’adresser aux dirigeants hiérarchiques de l’Église. Pourtant, ils ont le sentiment d’être réduits au silence dans leur propre espace de parole. "Mais quelle place les jeunes ont-ils réellement occupée ? A l’entracte, la file d’attente pour le micro était longue, mais seules quelques personnes ont eu droit à la parole" déplore Steven H. Fuit.
Et donc, "ce sont principalement les délégations de jeunes ici présentes qui, avec passion mais aussi avec la voix du désespoir, continuent de mettre la question du climat à l’ordre du jour (NDLR: vaguement évoquée dans le document final). Ils ont également organisé une manifestation avec des déclarations claires sur la fin des combustibles fossiles". Steven H. Fuit partage leur frustration. "Car organiser une conférence avec 4 000 participants du monde entier, surtout si beaucoup d’entre eux prennent l’avion, laisse aussi une sérieuse empreinte".
On ignore d'ailleurs sur l’organisation a déployé d'éventuels moyens pour limiter au maximum cette empreinte et pour rendre la conférence durable. "Nous estimons qu’il s’agit d’une occasion manquée de ne pas se contenter de parler de ce thème, mais de prendre des mesures concrètes" commente encore Steven H. Fuit.
"Le Conseil mondial n’a guère qu’un pouvoir de déclaration et de proposition. Il ne décide pas grand-chose, il est trop massif, trop lourd, trop chargé de politiques d’églises, entremêlées en outre à des intérêts politiques nationaux qui éclipsent l’international. Et le droit de veto s’applique. Cela n’enlève rien au fait que suivre le conseil est extrêmement fascinant et instructif."
Ce sont au final les rencontres spontanées, les évènements fortuits en marge du programme officiel, qui ont une valeur inestimable. Steven H. Fuit ne regrette donc pas d'avoir fait le déplacement.
Que retenir de la déclaration finale de l'Assemblée du COE?
Dans son message final, l'Assemblée a surtout mis l'action sur la solidarité et la nécessité de "voyager ensemble". On retiendra notamment le point 7 qui invite les chrétiens, "complices des abus des autres", au repentir et à oeuvrer pour la réconciliation et la justice "face à la guerre, à l’inégalité et aux péchés contre la création aujourd’hui".
Car c'est aussi l'unité, qui est don de Dieu, qui nous permettra de faire face aux problèmes urgents du monde. "Nous trouverons la force d’agir à partir d’une unité fondée sur l’amour du Christ, car elle nous permet d’apprendre ce qui fait la paix, de transformer la division en réconciliation et de travailler à la guérison de notre planète vivante" (10).
Enfin, dans le point 12, les membre de l'Assemblée appellent de leurs voeux "un mouvement plus large, à la réconciliation et à l’unité de toute l’humanité, et même du cosmos tout entier". Ils déplorent également devoir rappeler deux vérités fondamentales formulées lors de précédentes réunions : « la guerre est contraire à la volonté de Dieu » et « le racisme est un péché contre Dieu ».
Sophie DELHALLE
Message de la 11ème assemblée du Conseil Œcuménique des Eglises, Karlsruhe , septembre 2022
Depuis le moment où il a voyagé sur la terre, et même dans ce moment présent, Jésus adresse sans cesse ces paroles à chaque être humain. La vie, les paroles et les actions de Jésus sont une invitation constante au mouvement – d’un lieu physique à un autre, d’un groupe de personnes à un autre, d’un état d’esprit à un autre. Surtout, au milieu des problèmes du monde, Jésus nous appelle à venir à lui et à demeurer dans son amour, un amour qui est offert pour le monde entier (cf. Mt 11, 28).
2 Le tout dernier livre de la Bible, l’Apocalypse, parle des forces anciennes de la souffrance humaine à l’œuvre dans le monde : la guerre, la mort, la maladie et la famine. Alors que l’assemblée du Conseil œcuménique des Églises s’est réunie à Karlsruhe en 2022, nous étions conscients de leurs manifestations dans le monde d’aujourd’hui. Dans leur sillage viennent l’injustice et la discrimination, où ceux qui ont le pouvoir l’utilisent souvent pour opprimer les autres plutôt que pour construire l’inclusion, la justice et la paix.
3. Les individus, les peuples et les pays sont également confrontés à des catastrophes découlant directement d’une relation irresponsable et brisée avec la création qui a conduit à l’injustice écologique et à la crise climatique. Alors que l’urgence climatique s’accélère, il en va de même pour les souffrances vécues par les personnes appauvries et marginalisées.
4. Tout en poursuivant notre pèlerinage ensemble en tant qu’assemblée du Conseil œcuménique des Églises, notre humeur a été celle de l’anticipation et de l’espérance, et même de la joie, car par la puissance de l’Esprit Saint, l’invitation du Christ reste ouverte à tous, en fait à toute la création.
5. « L’amour du Christ pousse le monde vers la réconciliation et l’unité. » Cet amour, en réponse aux cris de ceux qui souffrent, nous oblige à venir à lui dans la solidarité et à répondre et à agir pour la justice. Nous sommes appelés à nous réconcilier dans l’amour de Dieu et à témoigner de cet amour révélé en Christ (1 Jean 4:9-11).
6. La réconciliation est un mouvement vers Dieu et les uns vers les autres. Cela implique une volonté d’écouter Dieu et les uns les autres. C’est une conversion du cœur, de l’égoïsme et de l’apathie à l’inclusion et au service, reconnaissant notre interdépendance avec la création.. Nous confessons que, même si nous désirons de tout notre cœur servir Dieu et notre prochain, nous nous sommes retrouvés défaillants, en désaccord et parfois en marchant dans des directions opposées. Nous confessons que nous avons besoin de la puissance transformatrice de l’amour du Christ pour nous rendre dans un monde vraiment réconcilié et uni. . .
7. Les chrétiens, et les structures que nous avons construites, ont été complices des abus des autres, et nous devons nous repentir et nous joindre à ce mouvement de réconciliation. Face à la guerre, à l’inégalité et aux péchés contre la création aujourd’hui, l’amour du Christ nous appelle tous au repentir, à la réconciliation et à la justice
Notre voyage ensemble
8. Au milieu de toute notre diversité, nous avons réappris dans notre assemblée qu’il y a un pèlerinage de justice, de réconciliation et d’unité à entreprendre ensemble ;
En nous réunissant en Allemagne, nous apprenons le coût de la guerre et la possibilité d’une réconciliation;
En écoutant ensemble la parole de Dieu, nous reconnaissons notre appel commun ;
En écoutant et en parlant ensemble, nous devenons des voisins plus proches;
En nous lamentant ensemble, nous nous ouvrons à la douleur et à la souffrance de l’autre;
En travaillant ensemble, nous consentons à une action commune
En célébrant ensemble, nous nous réjouissons des joies et des espoirs de chacun;
En priant ensemble, nous découvrons la richesse de nos traditions et la douleur de nos divisions.
« Allez dans le monde entier »
9. Depuis son ascension au ciel, et même en ce moment présent, le Christ donne sans cesse ce commandement à tous ceux qui le suivent
10. Comme la réconciliation nous rapproche de Dieu et les uns des autres, elle ouvre la voie à une unité fondée dans l’amour de Dieu. En tant que chrétiens, nous sommes appelés à demeurer dans l’amour du Christ et à être un (Jean 17). Une telle unité, qui est un don de Dieu, qui naît de la réconciliation et qui est fondée sur son amour, nous permet de faire face aux problèmes urgents du monde. Nous trouverons la force d’agir à partir d’une unité fondée sur l’amour du Christ, car elle nous permet d’apprendre ce qui fait la paix, de transformer la division en réconciliation et de travailler à la guérison de notre planète vivante. L’amour du Christ nous soutiendra tous dans la tâche d’embrasser tout le monde et de surmonter l’exclusion.
11. Nous avons goûté à l’expérience d’un tel amour que nous avons rassemblés dans 352 Églises membres avec nos partenaires œcuméniques, des amis d’autres communautés religieuses et de toutes les régions du monde pour rechercher l’unité au milieu de notre diversité. Ensemble, nous avons écouté des voix souvent marginalisées dans le monde : les femmes, les jeunes, les personnes handicapées, les peuples autochtones
12. Nous aspirons à un mouvement plus large, à la réconciliation et à l’unité de toute l’humanité, et même du cosmos tout entier. Ce serait une unité dans laquelle Dieu établit la justice, un lieu égal pour tous, à travers lequel la création peut être renouvelée et fortifiée. Nous comptons sur l’amour du Christ pour agir et plaider en faveur de la justice climatique. Nous joignons nos voix à l’assemblée d’Amsterdam (1948) selon laquelle « la guerre est contraire à la volonté de Dieu » et à l’assemblée de Nairobi (1975) selon laquelle « le racisme est un péché contre Dieu ». Nous déplorons de devoir répéter ces déclarations.
13. Dans notre assemblée, nous avons utilisé beaucoup de mots, mais à partir de ceux-ci, nous avons façonné une nouvelle détermination. Maintenant, nous demandons l’aide de Dieu pour transformer nos engagements en actions. Nous nous engageons à travailler avec toutes les personnes de bonne volonté. En réfléchissant aux fruits de notre travail à Karlsruhe, nous invitons tous à devenir des pèlerins ensemble.