La décision a été actée le vendredi 24 juin: la communauté du Verbe de Vie sera dissoute. Dans la foulée, le cardinal Jozef De Kesel, évêque garant de la communauté, a nommé Monseigneur François Touvet, évêque de Châlons, administrateur du Verbe de Vie jusqu’à sa dissolution effective prévue le 1er juillet 2023. Dans une interview accordée à l’hebdomadaire La Vie, Monseigneur Touvet revient sur les raisons de cette décision radicale.

Fondée en 1986 par un couple et quelques autres personnes, dans la mouvance du Renouveau charismatique, la communauté du Verbe de Vie a d’abord connu une croissance rapide. Elle répand en France, en Suisse, en Belgique, mais aussi au Mali et au Brésil. Chez nous, la communauté s’est installée en 1996 dans le monastère Notre-Dame de Fichermont, à Waterloo, avant de migrer à Saint-Gilles, en région bruxelloise, 21 ans plus tard.
Très vite cependant, des difficultés sont apparues, comme le confirme Monseigneur Touvet, nommé administrateur du Verbe de Vie jusqu’à sa dissolution effective. « Des signalements ont été adressés aux autorités de l’Eglise à partir de 1989, trois ans après la fondation. Après ces premiers signalements, Bernard Charrier, qui était alors évêque de Tulle (la communauté étant alors située principalement à Aubazine, en Corrèze) a enclenché une visite canonique en 2002, qui a mis au jour un certain nombre de dysfonctionnements, et fait des préconisations.«
De quels dysfonctionnements s’agit-il ? Le diagnostic de Monseigneur Touvet est net et précis: « Principalement des abus spirituels, une spiritualisation excessive, des phénomènes d’emprise, un manque de réalisme, des abus de pouvoir. Le fonctionnement des maisons est toujours regardé d’une manière tellement spirituelle que la réalité de la vie des personnes, leurs souffrances et leurs questionnements ne sont pas assez pris en compte. Le discours trop spiritualisant vise à cacher la réalité des choses. »
Plus grave encore, certains principes « de base » pour un exercice équilibré de l’autorité en communauté semblent gravement mis à mal. « Ont été relevés des abus d’autorité et la confusion entre le for interne et le for externe« , relève l’évêque de Châlons. « Des membres m’ont ainsi expliqué que leur accompagnateur spirituel était en même temps le responsable de la maison, donc leur supérieur… J’ai également eu connaissance de trahisons du secret de la confession: ce qui était dit dans le cadre du sacrement était parfois révélé à ceux qui exerçaient l’autorité sur la communauté. » Une faute extrêmement grave du point de vue de l’Eglise, passible d’excommunication.
Des tentatives de réforme
Toujours au chapitre des abus d’autorité, on constate, dès le départ, une centralisation extrême du gouvernement dans le chef du couple fondateur, Marie-Josette et Georges Bonneval. « Celui-ci (…) se prétendait l’unique fondateur et demandait aux membres de les reconnaître comme père et mère« , relève Monseigneur Touvet. « Ce regard sur la paternité spirituelle leur faisait perdre leur autonomie, leur liberté de parole et les avilissait en quelque sorte. Cela mettait tout le monde en état de souffrance. »
Ces différents dysfonctionnements ont donné lieu à une première visite canonique en 2002, qui s’est soldée par le départ de couple, et la désignation d’un nouveau modérateur l’année suivante. Mais ces changements n’ont pas réussi a inverser la tendance. Selon l’évêque-administrateur, « la nouvelle gouvernance a reproduit le même modèle. C’est ce qui nous fait dire qu’il y avait quelque chose de l’ordre d’un système dès l’origine. Un système basé sur un mensonge.«
Mensonge qui se manifeste dès la création de la communauté: lors de la deuxième visite canonique diligentée cette année, il a été découvert que le procès-verbal de création de l’association signé par les différents fondateurs a été falsifié. Des noms ont été effacés, et ce document falsifié utilisé dans la communauté faisait croire qu’il n’y avait que le couple fondateur…
Après 2003, les tentatives de reprise avec un gouvernement plus sain, plus respectueux des personnes et de la liberté de conscience de chacun, « subissaient des pressions de la part de quelques membres qui par leur personnalité ou par des arrangements finissaient par faire céder ceux qui voulaient réformer« , note encore Monseigneur Touvet.
« C’est le cas du dernier modérateur, Jean-Paul Pérez. Je tiens à lui rendre hommage, car il avait vu ce qu’il fallait faire: la nécessité de l’exigence de formation, d’un accompagnement extérieur pour tout le monde, d’un travail avec des psychologues, etc. Mais lui aussi, malgré son envergure, sa personnalité et son expérience professionnelle dans la conduite de réalités importantes a démissionné, car il a conclu que ce n’était pas gouvernable.«
Une deuxième visite canonique
Après son départ, en août 2021, trois membres de la communauté (un frère, une sœur et un laïc) ont été nommés pour gouverner provisoirement, et ce sont eux qui, avec le conseil de communauté, ont demandé une nouvelle visite canonique. Celle-ci, de janvier à avril 2022, « a retrouvé les mêmes faits« , explique le prélat, « donnant l’impression que les choses n’avaient pas évolué suffisamment, et que l’Eglise n’avait pas non plus veillé suffisamment, sur cette communauté, en dépit des 240 départs depuis 30 ans.«
Face à ce constat sans appel, la décision de la dissolution s’est avérée la seule option raisonnable. « Le cardinal Jozef De Kesel a considéré que les forces humaines étaient trop faibles pour procéder à une refondation, en raison de la souffrance et de l’épuisement moral et psychologique des membres« , fait valoir Monseigneur Touvet. « En outre, pour relancer la machine, il aurait fallu trouver une bonne équipe d’administrateurs et un climat favorable, or il y a trop de divisions, de tensions et de souffrances. Enfin, il aurait fallu que le charisme de cette communauté soit défini, ce qui n’a jamais vraiment été fait. Devant ce triple constat, le cardinal De Kesel a estimé qu’il ne restait que la dissolution.«
A quel titre le cardinal De Kesel a-t-il prononcé cette dissolution? Rappelons que le Verbe de Vie est devenu une « association privée de fidèles de droit diocésain » de l’archevêché de Malines-Bruxelles en 2010, lorsque la communauté avait dû quitter sa maison-mère dans le diocèse de Tulle, en France. Monseigneur André-Joseph Léonard en est alors devenu l’évêque garant, et le cardinal De Kesel à sa suite en devenant archevêque en 2015. C’est donc à lui que revenait la décision de dissoudre la communauté du Verbe de Vie, en vertu du Canon 326 du Code de droit canonique, qui précise que l’autorité compétente est autorisée à dissoudre une association de fidèles « si son activité cause un grave dommage(…) à la discipline ecclésiastique ou provoque du scandale chez les fidèles ».Ces deux critères étaient réunis ici.
Christophe HERINCKX, d’après La Vie
Découvrez l’interview de Mgr François Touvet sur KTO :