C'est à la mémoire de Vivian Maier qu'une exposition d'une petite centaine de clichés rend hommage. Une manière de découvrir le travail discret d'une tâcheronne de l'art photographique.
Du travail réalisé par Vivian Maier (1926-2009), 120.000 négatifs nous sont parvenus, témoins de 45 ans de trajectoire photographique pour le moins originale. Gouvernante en Amérique, cette femme a réussi à mettre à profit ses activités ordinaires, en rue ou auprès des enfants dont elle avait la garde, pour tirer des portraits, des scènes de vie, des détails des gestes posés. L'histoire de ses négatifs, dont seuls quelques milliers ont été développés de son vivant, est pour le moins rocambolesque. Entreposés dans des caisses mises en dépôt, les négatifs se trouvaient mêlés à ses archives faites de bric et de broc. Deux ans avant sa mort, l'ensemble des cartons est vendu aux enchères. Coup de poker pour l'acquéreur et électrochoc dans le monde de la photographie, qui appréhende une découverte majeure avec ce travail nourri à l'ombre des passants.
"Une formulation visuelle à part"
C'est en octobre 2011 que l'historienne de la photographie Anne Morin a découvert les œuvres de Vivian Maier. "Jamais je n'aurais soupçonné que cela devienne un phénomène viral international. C'est un cas tellement inédit, qui a forcé la porte de l'histoire de la photographie: une femme, une amateure, une invisible. Elle a tous les éléments réunis pour ne pas y figurer." Or cette femme a priori insignifiante joue désormais un rôle non négligeable auprès des photographes amateurs. "Témoins d'une invisible qui accède au rang d'icône, ils se disent: 'pourquoi pas moi ?' Vivian Maier ouvre le champ à tous les possibles. Son cas est unique, parce qu'il réunit trois facettes. Il y a l'œuvre, le personnage mystérieux et la découverte in extremis qui fait que nous sommes dans une histoire hollywoodienne." Pourtant, Anne Morin, qui est la commissaire de l'exposition, insiste sur le fait que "l'œuvre tient debout toute seule. Il n'y a pas besoin d'avoir un recours narratif comme peut l'être la vie sordide…" Grâce à son acuité visuelle, elle s'empare du lieu dans lequel elle se trouve et peut ainsi être qualifiée de "photographe du territoire". Vu son manque de moyens financiers, Maier prenait une seule image par scène, sans possibilité de sélectionner la meilleure parmi plusieurs prises.
Un art résolument contemporain
Selon Anne Morin, la pratique des autoportraits a été cultivée par l'avant-garde féminine, soucieuse d'asseoir sa représentation sociale. Largement répandue aujourd'hui, l'autoportrait numérique (selfie) "déborde sur les réseaux sociaux et témoigne probablement d'une crise d'identité extraordinaire: un manque de frontalité à la réalité et les écrans interposés qui nous font douter de notre propre intégrité au monde. Aujourd'hui, le selfie pose la question de la véracité de la présence au monde", décrypte-t-elle. Le recours à de multiples techniques virtuelles permet, en effet, de transformer l'image et de mystifier le spectateur. Amaigrir, grandir de quelques centimètres, changer la couleur des yeux… Tout peut être aisément modifié dans l'apparence, mais aussi dans le lieu présenté. Prenons un arrière-plan avec la Tour Eiffel, est-il, pour autant, la garantie d'une présence réelle sur place ?
De Vivian Maier, cette avant-gardiste indifférente au jugement des autres, l'historienne de la photographie estime qu'elle a résolu la crise d'identité de manière personnelle, en explorant une multitude de formes et de dimensions de l'autoreprésentation. Adepte de ce mode d'expression, décliné dans de véritables mises en scène, "Vivian Maier est devenue une signature, par son portrait en creux qui est son ombre. Son expérience du réel était minimale et consistait à affirmer sa présence. C'était déjà un luxe de se prouver à elle-même qu'elle existait. Avec elle, le miroir n'a rien de narcissique. Immigrée au service des autres, elle a vécu son enfance par procuration et a mené une quête renouvelée de sa propre identité." Une exposition dans une mise en scène aérienne, à ne pas rater en ce début d'été.
Angélique TASIAUX
L'exposition Vivian Maier. L’autoportrait et son double est à voir jusqu'au 21 juillet à Bozar.