« N’oublions pas les sans-papiers ! » : l’appel de l’Eglise de Belgique


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« N’oublions pas les sans-papiers ! » : l’appel de l’Eglise de Belgique
Par La rédaction
Publié le - Modifié le
7 min

Alors que les dernières semaines ont été particulièrement marquées par l'accueil de réfugiés ukrainiens, l'Eglise de Belgique, par l'intermédiaire de la Commission épiscopale pour la Diaconie, attire l'attention sur la situation des sans-papiers. Elle en appelle notamment à revoir la procédure de régularisation.

Nous pouvons, par moments, nous réjouir des élans de solidarité dont témoigne la société belge à l’occasion de crises humanitaires, en Belgique ou à l’étranger : simples citoyens, monde associatif, média et responsables politiques, tous niveaux de pouvoir confondus, tous veulent contribuer à l’allègement des souffrances des personnes et communautés frappées par la violence de la guerre, une pandémie ou des dérèglements climatiques.

Message de Mgr Jean-Pierre Delville, évêque de Liège et de Mgr Lode Van Hecke, évêque de Gand

Le rêve de payer des impôts

Cette belle unanimité lors de crises majeures ne doit toutefois pas nous empêcher de porter un regard lucide sur l’étrange évolution de nos solidarités. Ainsi, cette lumière soudainement réservée aux victimes de ces violences maintient indûment dans l’ombre d’autres groupes de frères et sœurs humains. On pense par exemple au pourcent de la population belge qualifié d‘ « étrangers sans-papiers ». Si leur parcours de vie, leur nationalité, leur stratégie de survie sont très divers, ils partagent le même rêve : être reconnus par la Belgique, pouvoir y étudier ou y travailler légalement… et y payer des impôts. Ces personnes font donc partie de notre société. Elles vont à l'école, travaillent, sont actives dans la vie associative. Pourtant la Belgique les ignore. Elle leur reproche d’être entrées illégalement sur son territoire et n’utilise à leur égard que le langage du retour, « volontaire si possible, forcé si nécessaire ». Plus grave, elle les maintient, dans l’attente d’un possible éloignement du territoire, dans des conditions de survie et d’insécurité qui défient toute dignité humaine.

Pas une faveur

Il est donc urgent de mettre en œuvre des mesures de pure humanité qui garantissent à toute personne un réel accès aux prestations sociales et aux services de base (logement, soins de santé, éducation, aide juridique, accompagnement social). Il ne s’agit pas là d’une dangereuse faveur, mais du simple respect des obligations morales et légales que notre État a souscrites en vertu des normes européennes en matière de droits fondamentaux. Il y va également de l’intérêt bien compris de toute la société belge, et en particulier des autorités locales. Celles-ci poursuivent en effet un certain nombre d’objectifs liés à la qualité du vivre ensemble qui ne peuvent être atteints en maintenant une partie de la population dans la clandestinité. On pense ici à la sécurité publique, qui réclame que tous les résidents osent signaler à la police un délit dont ils auraient été victime ou témoin; à la lutte contre l'exclusion liée au logement (squats, immeubles abandonnés) qui impactent la santé, le tourisme et favorisent la toxicomanie ; à la protection des enfants; à la santé publique (meilleure couverture vaccinale); à la cohésion communautaire et la prévention de la ségrégation; à la lutte contre l'exploitation dans les domaines du logement et de l'emploi; à l'administration efficace des services publics (les données sur le nombre d'habitants permettent de connaître et planifier les besoins en services scolaires, services de santé d'urgence,…) ; à l’ouverture de couloirs humanitaires. Au demeurant, si des dispositifs et moyens nouveaux sont mis en œuvre, il importe qu’ils contribuent aussi à renforcer la cohésion sociale et ne puissent être perçus comme un privilège réservé aux seuls étrangers.

L’accès au marché du travail des personnes sans-papiers semble également relever du bon sens, tenant compte des nombreux métiers en pénurie et des nécessités de reconstruire les infrastructures wallonnes sinistrées suite aux inondations mais surtout en raison de la situation dramatique dans laquelle les a plongées la crise du Covid  en leur faisant perdre toute source de revenu.

Manifestation en faveur des sans-papiers CCBY Flickr/Cicilie Fagerlid SA-NC

Au-delà de l’urgence humanitaire, il est essentiel d’apporter des réponses structurelles au défi sociétal, qui est celui de l’accueil de la diversité dans la dignité. Nous plaidons pour la mise en œuvre d’un bouquet de mesures permettant de quitter le cercle vicieux dans lequel notre Etat crée, par son attitude intransigeante – voire dogmatique – toujours plus de personnes en situation irrégulière, et donc plus d’insécurité et de désespoir.

Des voies d'accès aux statuts de séjour

La première mesure, et à l’évidence la plus complexe, car elle s’attaque aux sources de la migration irrégulière, relève du niveau européen. Il faut impérativement créer de nouvelles voies d’accès légales et sûres facilitant la migration d’étudiants et de travailleurs, en particulier dans les secteurs en pénurie. C’est une politique essentielle pour mettre en échec les réseaux criminels de trafiquants d’êtres humains.

Il faudrait ensuite traiter avec davantage de souplesse les demandes de régularisation pour raison médicale, dès lors que le seuil d’exigence actuel confine à l’absurde, ainsi que le regroupement familial. Se marier et vivre en famille est un droit fondamental, aussi pour les étrangers. Là où cette faculté devrait idéalement servir d’outil d’intégration dans notre société, elle se voit réduite à un outil de gestion migratoire de plus en plus stricte. Dans les deux cas, il y va bien de la dignité humaine.

Il faut aussi prévoir une assistance et une information plus approfondies lors du renouvellement des statuts de séjour. En effet, dans de nombreux cas, les conditions de renouvellement et les raisons de mettre fin à un séjour sont mal connues ou ne tiennent pas compte des vulnérabilités spécifiques des personnes concernées.

Il y a lieu également de créer de véritables statuts de séjour pour certaines catégories d’étrangers comme les apatrides reconnus, les personnes inéloignables (c.à.d. qui ne pourraient retourner dans leur pays même si elles le voulaient) et les parents d’enfants mineurs de pays tiers ayant obtenu un droit de séjour. Pour tous ceux-là, l’accès au séjour ne serait plus une faveur dispensée de façon discrétionnaire par le ministre compétent, mais un droit.

Près de 150.000 personnes!

Source: Wikimedia Commons

Dans l’attente de la mise en œuvre de ces différentes mesures, le sort de près de 150.000 personnes en situation irrégulière reste incertain et inhumain. Pour ceux-là, l’article 9bis, qui régit les demandes d’autorisation de séjour en raison de circonstances exceptionnelles est souvent la seule issue possible. Nous sommes convaincus que les avantages d’un statut légal de régularisation doivent ici l’emporter parce qu’ils sont bons pour l’ensemble de notre société : pour la sécurité et la santé publiques, pour le marché de l’emploi, pour la qualité du vivre ensemble… et pour la dignité humaine.

Mais l’autorisation de séjour pour circonstances exceptionnelles (régie par l’article 9bis) ne peut rester une arme secrète à la discrétion du pouvoir politique. Il est essentiel que le cadre deréférencequi permettra à l’autorité de motiver dûment ses décisions (soit la liste des critères de régularisation) fasse l’objet d’un acte règlementaire dûment publié. On pense par exemple à la situation personnelle (victime de traite ou autre exploitation) et familiale, aux attaches sociales durables en Belgique (intégration dans la vie locale et associative), aux perspectives de travail déclaré, aux considérations humanitaires, aux préoccupations liées à la sécurité nationale, à la durée du séjour effectif en Belgique ou à celle d’une procédure de séjour en cours, aux compétences linguistiques… Les difficultés à réintégrer le pays d’origine et à y construire une vie décente doivent également être considérées. Certaines personnes n'ont en effet jamais ou à peine vécu dans leur pays d'origine, n'y ont pas de lien social ou familial ou n’y ont aucune perspective de vie digne.

La procédure de régularisation doit également être fondamentalement revue pour devenir contradictoire (c’est-à-dire qui garantit à chaque partie le droit de prendre connaissance des arguments de fait et de droit). Elle doit être régie par des délais de traitement fixes et raisonnables. La redevance exigée à l’introduction d’une demande doit être basée sur un calcul sérieux et précis du coût du traitement. Les exigences relatives à l'identité d’un demandeur ou à son lieu de résidence en Belgique doivent être assouplies. Le rôle de l’administration doit évoluer vers une communication proactive et ouverte avec les demandeurs. Enfin, ces derniers doivent pouvoir être entendus personnellement et les décisions doivent être précédées d'une enquête sociale approfondie.

Une approche innovante et humaine

La clarification du cadre légal, la création de nouveaux statuts de séjour voire de régimes particuliers de protection ne seront cependant jamais en mesure de venir à bout du séjour illégal si elles ne s’accompagnent d’une approche innovante, humaine et efficace à l’égard des personnes qui reçoivent un ordre de quitter le territoire. Ces dernières doivent être considérées comme des acteurs essentiels dans la recherche d’une solution à leur projet migratoire. C’est le premier pas pour reconnaître leur dignité.

A tous ceux qui se mobilisent aujourd’hui pour accueillir et accompagner des réfugiés, nous lançons cet appel : n’oubliez pas les sans-papiers. Même invisibles, ils font partie de notre société et méritent un sort plus juste que l’oubli dans lequel ils sont laissés.

Communiqué de la Commission épiscopale pour la Diaconie (intertitres de la rédaction)

Catégorie : Eglise Belgique

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