C'est l'abbé Benoît Lobet qui nous partage l'évangile de Jean 13, 31-33a.34-35 de ce 5e dimanche de Pâques "Je vous donne un commandement nouveau: c'est de vous aimer les uns les autres."
Lorsqu'on rédige son testament, c'est ce que l'on possède de plus précieux, en biens matériels ou moraux, qu'on souhaite transmettre aux héritiers. Au moment de quitter les siens, après le dernier repas qu'il a partagé avec eux, Jésus leur confie de même son Testament qui tient en une formule: "Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres."
De quel amour s'agit-il? Le grec possède plusieurs termes qui peuvent être traduits en français par le mot "amour". Eros, d'abord: l'amour amoureux, pour lequel le latin dit libido, l'amour passionnel, formidable puissance qui transfigure la vie à deux. Ce n'est pas le commandement de cet amour-là que Jésus entend léguer aux siens. Pas plus que Philia, l'amour d'amitié ou de sympathie, qui fait que l'on se sent bien avec telle ou telle personne, autant que l'on se sent spontanément mal avec d'autres, et cela sans que l'on sache pourquoi – affaire d'"atomes crochus", comme on dit. Jésus ne prescrit pas non plus aux siens philia. Du reste, eros et philia n'ont pas besoin d'être prescrits, de devenir des "commandements" - ils vont de soi et sont spontanés, ils vous "tombent dessus" (ne dit-on pas "tomber amoureux"?)
Mais il est un troisième terme grec qui doit être traduit par "amour", c'est agapè. Agapè est un amour de don de soi à l'autre, complètement désintéressé et entier (on n'a rien donné de soi tant qu'on ne s'est pas donné tout entier). Agapè, c'est l'amour de Dieu, c'est le don du Père au Fils et du Fils au Père, dans la liberté de l'Esprit, c'est l'éternelle Trinité. Ce que Jésus prescrit comme amour mutuel aux siens, c'est agapè. Nous qui sommes ses disciples, il nous invite à faire ce que lui-même a fait pour nous: donner notre vie à ceux dont nous croisons la destinée, comme il a donné la sienne jusqu'au bout, sans retenue, sans rien vouloir garder pour lui. Et librement: "Ma vie, avait-il dit, nul ne la prend, c'est moi qui la donne!" Ah! Evidemment, c'est une autre paire de manches! Il ne s'agit plus de se laisser emporter par eros ou bercer par philia. Il s'agit de donner sa vie à l'autre: n'est-ce pas du reste le pari du mariage sacramentel, en lequel on doit souhaiter qu'eros peu à peu soit investi par agapè pour devenir vraiment un signe de l'amour même de Dieu?
Cela n'est pas au bout de nos forces humaines. Cet amour-là, agapè, vient de Dieu et de lui seul. Il faut le demander souvent, dans nos communautés de vie, dans nos églises, dans nos foyers. C'est dans sa mise en œuvre(s) que le monde reconnaîtra en effet que nous sommes du Christ.
Lorsqu'on réfléchit à l'évangélisation, on le fait trop souvent en termes de stratégies, de communication, voire de marketing. Or, nous devrions vérifier d'abord ceci: nos communautés sont-elles des lieux où l'on résiste à toutes les tentations de malveillance pour pratiquer le don de soi à l'autre, le don de sa vie à la vie de l'autre, dans la liberté de l'Esprit? L'enjeu, pourtant, est de taille: c'est à cela, et seulement à cela, que nous serons disciples de Jésus et considérés comme tels.
Abbé Benoît Lobet