Quarante jours après le Dimanche de Pâques, dix jours avant la Pentecôte, les chrétiens célèbrent la fête de l’Ascension. Comment comprendre la montée du Christ au Ciel? Pour déchiffrer le sens de ce mystère, il faut le mettre en relation avec la résurrection de Jésus.

La solennité de l’Ascension est célébrée pendant le Temps pascal, entre la résurrection du Christ, à Pâques, et la venue de l’Esprit saint sur les apôtres, à la Pentecôte. Le Temps pascal est comme un seul et long Dimanche de Pâques de cinquante jours, temps de maturation de la foi qui se décline liturgiquement en sept dimanches, nombre biblique de l’achèvement, de la bénédiction divine.
Les quarante premiers jours de ce temps de Pâques, qui séparent la résurrection de l’Ascension, sont comme une longue retraite, qui rappelle les quarante jours que Jésus a passés au désert, après son baptême, et les quarante années de cheminement, également dans le désert, que le peuple hébreu a parcouru pour quitter spirituellement l’Egypte, apprendre à connaître Dieu, et atteindre ainsi la Terre promise.
Quarante jours
Ces quarante jours forment comme un diptyque avec le carême, avec la Pâque du Christ comme pivot: avant Pâques, nous nous préparons à passer de l’esclavage à la liberté, de la mort à la vie, réalisé par le Christ; après sa résurrection, nous nous retrouvons au cénacle, avec les apôtres, pour recueillir la vie nouvelle, vie de Dieu, qu’a libérée pour nous le Christ.
Ce cheminement intérieur débouche sur la Pentecôte, qui est le fruit, la moisson de ce qui a été semé à Pâques. L’Esprit qui nous est donné nous permet d’entrer pleinement dans cette vie nouvelle d’enfants de Dieu, et de frères et sœurs de Jésus. Car l’Esprit est lui-même cette vie de Dieu, qui se greffe sur la nôtre.
Trois mystères…
Mais, avant la Pentecôte, il y a l’Ascension. Pour entrer dans le sens de ce mystère, il existe deux sources, différentes, contenues toutes deux dans le Nouveau Testament. La première source, ce sont les évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc), qui ne parlent pas de l’Ascension, ni de la Pentecôte. C’est le livre des Actes de Apôtres qui, prolongeant l’évangile de Luc, comprend le récit de l’Ascension, quarante jours après Pâques, et dix jours avant la Pentecôte. Cette séquence insiste sur la distinction entre les trois réalités – résurrection, Ascension et Pentecôte –, et sur ce qu’elles ont de spécifique dans l’histoire de notre salut. C’est aussi cette séquence, cette distinction entre les trois mystères qui a permis aux premières communautés chrétiennes de les inscrire, en trois moments distincts, dans la liturgie de l’Eglise, telle qu’évoquée ci-dessus.
Quelle est la place de l’Ascension au cœur de ce triptyque – on n’osera pas dire sa « fonction »? La résurrection est l’entrée du Christ, en tant qu’homme, dans la Vie de Dieu, après être passé par l’anéantissement de sa passion. L’Ascension est, pourrait-on dire, la dernière phase de cette entrée dans la vie divine, qui est comme un mouvement de retour du Fils unique vers son Père.
Ce mouvement est exprimé par la montée de Jésus vers les Cieux – montée qui est le sens du mot « ascension ». Les Ciel, ce n’est pas un lieu dans l’espace et le temps, mais le domaine, la « dimension » propre de Dieu. Par son Ascension, Jésus retourne à l’éternité de Dieu, qui dépasse notre dimension spatio-temporelle. Autre expression: il entre dans la plénitude de la gloire de Dieu, c’est-à-dire la plénitude de la Vie et de l’Amour qui sont Dieu, Père, Fils et Esprit.
…qui n’en font qu’un
Arrêtons- nous un moment sur l’idée de « retour » de Jésus au Père, en nous appuyant cette fois sur la deuxième source du Nouveau Testament qui nous permet d’entrer dans le mystère de l’Ascension. Cette deuxième source est l’évangile de Jean. Cet évangile ne parle pas de l’Ascension en tant que telle, mais uniquement de la Pentecôte, qu’il situe le soir même de la résurrection: « Ayant ainsi parlé, il (Jésus) souffla sur eux et leur dit: ‘Recevez l’Esprit saint; ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus’. » (Jean 20, 22-23). En vue de leur mission, Jésus ressuscité leur communique l’Esprit saint immédiatement, sans qu’il soit fait mention de l’Ascension.
Pourquoi cette différence de traitement, entre les synoptiques et les Actes des Apôtres d’une part, et le quatrième évangile d’autre part? Dans l’évangile de Jean, l’auteur insiste sur le lien intime qui existe entre passion, résurrection, et don de l’Esprit saint. Quant à l’Ascension, elle est déjà « contenue », pour ainsi dire, dans la résurrection, mais également, déjà, dans la passion de Jésus. Car au fond, il s’agit d’un seul processus, d’un seul mouvement, d’un seul mystère. Ce que Jean résume par ces termes, à plusieurs reprises et sous différentes formes: Jésus doit être élevé, ou: il doit être glorifié. Ou encore: Jésus va vers son Père.
Citons ce beau passage de l’évangile, où l’on voit Jésus annoncer: « ’Pour moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes’ – Par ces paroles, il indiquait de quelle mort il allait mourir » (Jean 12, 32-33). Si le deuxième verset suggère que l’élévation de terre est la mort sur la croix, l’allusion à la glorification et à la montée vers le Père est également frappante. D’après d’autres texes johanniques, la glorification du Père par le Fils, et du Fils par le Père, se réalise déjà lors de la passion, en manifestant la profondeur infinie de l’amour de Dieu pour chaque être humain. Cette glorification débouche sur la résurrection qui est, déjà et pleinement, retour vers le Père.
Au milieu de nous
Si Jésus retourne vers son Père, c’est parce que d’abord, il vient du Père. Mais il n’y retourne pas de la même manière qu’il est est « descendu du Ciel ». En venant dans la chair du monde, le Fils éternel de Dieu, deuxième Personne de la Trinité, assume pleinement notre humanité. Et lorsque, ressuscité, il retourne vers le Père, il emmène avec lui, pour ainsi dire, son corps, tout ce qui fait son humanité, bref: notre chair. Il ouvre ainsi une voie nouvelle, sur laquelle chacun d’entre nous peut le suivre, nous qui sommes appelés à entrer dans le Temple du Ciel à la suite de notre Berger.
En attendant cet accomplissement qui doit nous advenir, Dieu nous a donné l’Esprit, à la Pentecôte. L’Esprit saint est le fleuve de vie éternelle jaillissant du nouveau temple qu’est le Christ. Ce don de l’Esprit est, après la résurrection et l’Ascension, le dernier volet du triptyque, son achèvement. L’Esprit accueilli fait de nous des ressuscités, avec Jésus, et fait pour ainsi dire vivre déjà au Ciel, c’est-à-dire en Dieu. Mais que l’on ne s’y trompe pas. Pour vivre en Dieu, point n’est besoin de nous échapper de notre vie terrestre. Car dans l’Esprit, le Ciel est désormais au milieu de nous, en nous, et nous pouvons « adorer Dieu en esprit et en vérité » dans la chair de nos existences. Nous vivons déjà en Dieu, et la vie éternelle est déjà commencée.
Christophe HERINCKX (Fondation Saint-Paul)