La réédition de nouvelles écrites par Primo Levi est l’occasion d’une plongée dans la Seconde Guerre mondiale.
Le nom de Primo Levi restera éternellement lié au camp d’Auschwitz. Emprisonné à l’âge de 24 ans, en février 1944, le chimiste italien y a passé onze mois. Il a rendu compte de ce séjour dans un texte remarquable, où il passe au crible la déshumanisation des prisonniers. Publié au sortir de la Seconde Guerre mondiale, Si c’est un homme n’a cessé d’être publié dans de nombreuses langues. Et pour cause. Dans ce récit factuel, composé déjà mentalement dans le camp, l’auteur rend compte de la vie ordinaire, des privations, du quotidien de ces hommes enfermés qui doivent, en permanence, transporter gamelle et cuillère pour éviter qu’elles ne soient dérobées par les autres. Sans haine, il restitue avec force et simplicité les faits et gestes de ses contemporains, ces prisonniers d’une idéologie totalitaire tenaillés par la faim. Ce faisant, il nous renvoie aussi à nos propres choix. « Si on devait vous tuer demain avec votre enfant, refuseriez-vous de lui donner à manger aujourd’hui ? »

De la fiction aussi
En ce début d’année 2022, trois quarts de siècle après la première publication de Si c’est un homme, une dizaine de nouvelles de Primo Levi ont été rassemblées et publiées sous le titre de Auschwitz ville tranquille. Un titre qui intrigue forcément. Comment une telle ville liée à une abomination suprême pourrait-elle être qualifiée de tranquille ? Pourtant, pour les habitants soucieux de maintenir leur quiétude, mieux valait ne pas (trop) s’interroger sur le voisinage suspect et feindre l’ignorance. Quitte à en perdre leur dignité.
Ces nouvelles se trouvent à la lisière entre fiction et réalité. Le lecteur les devine composées à partir de détails ou d’éléments réels, mêlés à une part d’imaginaire. Certaines remarques ont des accents d’authenticité non dissimulés. « [La douleur], on ne peut pas la supprimer, la faire taire, parce qu’elle ne fait qu’un avec la vie, qu’elle en est la gardienne. » Ou encore, comme en écho direct avec son journal de guerre : « Je volais tout, sauf le pain de mes compagnons. »
A méditer
En ces temps de conflit en Europe, il est salutaire de reprendre ces grands textes de notre passé commun. Ils nourrissent la réflexion et les interrogations. « Vous les connaissez, vous tous, ces bruits perçants. Ce sont des sonorités démoniaques : j’ai souvent pensé que leurs tristes fabricants ont donné délibérément aux bombes une voix, pour exprimer leur soif barbare et un dernier avertissement arrogant aux victimes désignées. »
Angélique TASIAUX
Primo Levi, « Auschwitz, ville tranquille ». Albin Michel, janvier 2022, 200 pages.