Avec « A German Life », place à une leçon d’histoire donnée avec brio par la doyenne des comédiennes belges. Une immersion dans le Berlin des années 30 et 40.

© Patricia Mathieu
Décidément, les seul(e)s en scène ont la cote. Le procédé de narration requiert moins de comédiens, moins de costumes, moins de dépenses tout court. Oui, mais il exige aussi du talent pour celui ou celle qui assure le rôle, livré(e) seul(e) en pâture face au public, sans l’appui d’éventuels partenaires.
La carrure de Jacqueline Bir se prête admirablement à l’exercice. Légende vivante du théâtre belge, la comédienne a endossé le rôle de Brunhilde Pomsel avec rigueur et détermination, n’hésitant pas à enchaîner les répétitions avec le metteur en scène Simon Paco pour déployer une interprétation « sur le fil ». Car la tension est grande pour assurer, sans ciller, ce rôle dramatique. Parmi le public, des jeunes comédiens venus admirer le jeu de Jacqueline Bir. Et la régisseuse Sybille Van Bellinghen, elle aussi, conquise par le dynamisme de celle qu’elle nomme affectueusement Jacqueline.
L’impossible culpabilité
D’une voix claire, Brunhilde Pomsel évoque sa vie et raconte ses souvenirs berlinois : son enfance dans une famille nombreuse, sa formation de dactylo, son travail chez un modiste juif, puis un courtier en assurance, juif lui aussi… Tout semble parfaitement banal. D’une insignifiance (presque) rassurante. Brunhilde a des amis juifs, dont sa meilleure amie avec laquelle elle se rend même au siège du parti nazi pour y acquérir une carte du parti, sésame pour l’accession à un poste bien rémunéré auprès de la Société allemande de radiodiffusion. Tout semble donc conforme aux attentes et aux prescrits d’une époque ensorcelée par le nazisme. Jusqu’au moment où Brunhilde est remarquée pour ses compétences de dactylographe et transférée du service de l’information radiophonique au ministère de la Propagande. Survient alors la silhouette menaçante de Goebbels, ce dirigeant qui n’hésitera pas à se suicider en compagnie de sa femme et de leurs six enfants. Mais ça, c’est après.
Sept décennies plus tard, Brunhilde Pomsel refuse encore de porter le fardeau de la culpabilité, arguant qu’elle, comme les autres, ne savait rien du sort réel réservé aux Juifs et aux bannis du régime. Et en plus, elle ne s’intéressait même pas à la politique, ne cesse-t-elle de répéter.

Le propos est sombre. Pourtant, loin de peser sur l’atmosphère, il porte à la réflexion les spectateurs. La volonté de leur tendre un miroir est bien présente, une fois encore, dans l’esprit de Jacqueline Bir. Qu’auraient-ils fait à la place de la secrétaire de Joseph Goebbels, ministre de la Propagande du régime nazi ? Qu’aurions-nous fait, nous aussi ? Comme le souligne Simon Paco, « donner la parole à Brunhilde au plateau, c’est aborder le devoir de mémoire de manière active ».
Car la pièce « A German Life » ne relève pas d’une invention. Brunhilde Pomsel a vraiment existé. Elle s’est d’ailleurs confiée, peu avant sa mort. Un documentaire retrace sa vie. Un film aussi. Une pièce de théâtre en langue anglaise. Et maintenant, une création en français. A voir pour réfléchir aux enjeux d’une existence, aussi simple paraisse-t-elle. Le décor sobre et la lumière sont au service de la comédienne, magistrale une fois encore.
Angélique TASIAUX
Infos : « A German Life » à voir jusqu’au 29 avril au Théâtre Le Public – 0800 944 44