
On prétend parfois qu’il y aurait un fossé entre politiques et citoyens. Un aspect de l’actuelle crise ukrainienne nous invite à relativiser cette croyance: il s’agit de l’accueil des victimes de la guerre.
Si nos responsables politiques tiennent aujourd’hui un discours si favorable à l’accueil, c’est parce qu’ils sentent une ferme adhésion populaire. Celle-ci est d’ailleurs si forte que les partis populistes, traditionnels pourfendeurs de l’accueil, se voient contraints à un certain silence.
Tout cela est particulièrement réjouissant. Mais tout cela n’esquive pas deux questions que, doucement, il va falloir commencer à se poser.
1. Pourra-t-on encore longtemps accepter le caractère géométriquement variable de nos élans solidaires? En 2015-2016, notre pays rechignait à accueillir quelques milliers (!) de Syriens. Ces réfugiés, à nos portes, avaient, à leurs trousses, leur propre président, assisté par un certain… Vladimir Poutine.
Pourquoi donc nos portes demeurèrent-elles alors si closes? Est-ce parce que cette guerre nous semblait lointaine? Ou parce que les Syriens nous semblaient trop musulmans?
Au-delà, s’il faut saluer la création de procédures d’exception pour accueillir les Ukrainiens, comment parviendra-t-on à justifier celles-ci auprès de ceux qui vivent dans notre pays depuis de longues années parfois, mais qui, sans papiers, sont toujours contraints à l’illégalité?
2. Sans sombrer dans le pessimisme, il est à prévoir que l’élan solidaire de nos concitoyens finisse par s’effriter. Car, même des guerres, on finit par se lasser. Car c’est la durée qui fragilise les bonnes volontés. Car face à l’inflation et aux chocs énergétiques, c’est d’abord pour eux-mêmes que beaucoup de nos concitoyens finiront par s’inquiéter. Quelle sera, alors, l’attitude de nos autorités politiques? Leur élan solidaire finira-t-il par s’éroder lui aussi? Ce serait regrettable.
Sur le long terme, c’est à l’Etat qu’il revient de donner un cap, de définir une stratégie. La principale mission de nos représentants ne consiste pas à suivre les passions fluctuantes de leurs représentés. Parfois, elle consiste plutôt à transcender ces élans. S’ils ne le faisaient pas, nos dirigeants courraient le risque de laisser migrants et autres personnes venues d’ailleurs dans un véritable fossé. Ce qui serait inacceptable.
Vincent DELCORPS