A la tête de l’Eglise catholique depuis 2013, François a effectué en Hongrie et en Slovaquie, mi-septembre, son 34e voyage hors d’Italie. Avec son double statut de chef religieux et de chef d’Etat, chacun de ses déplacements répond à des us et pratiques.
15 septembre 2021. A la mi-journée, le vol Alitalia AZ 4001 (numéro invariable de chaque vol retour du pape) quitte l’aéroport de Bratislava. C’est la dernière fois qu’Alitalia transporte l’évêque de Rome, la compagnie italienne étant dissoute depuis peu. Italia Trasporto Aereo (Ita), qui lui succédera dès octobre, prendra la relève, héritant d’une tradition qui remonte à janvier 1964 avec le déplacement de Paul VI en Terre sainte. Depuis, au cours de chacun des 171 voyages papaux qu’elle a effectués, Alitalia a toujours configuré deux appareils (dont un de secours) aux couleurs du Vatican, avec des sièges auréolés d’un blason du plus petit Etat du monde. La nouvelle compagnie aura sans doute encore du boulot, d’autant qu’après la trêve imposée par le Covid-19, l’agenda de François s’annonce très serré.
La chasse apostolique aux périphéries…
Dans le choix de ses destinations, François vise les périphéries, « souvent oubliées » selon lui. Il a maintenu en mars, en dépit de la pandémie et des craintes sécuritaires, son voyage en Irak . Malgré les invitations de l’Etat français et de la conférence des évêques, le Pape a préféré la Hongrie et la Slovaquie à « la fille aînée de l’Eglise » qui l’espérait à Marseille cet automne, à l’occasion d’un grand rassemblement de la famille ignatienne.
Plusieurs destinations sont en vue pour les deux prochaines années. En recevant Saad Hariri en avril dernier, il avait promis au Premier ministre libanais de se rendre « aussi tôt que possible » dans le pays des cèdres. Une perspective à laquelle travaille, pour 2022, le Bureau des voyages du pape qui dépend directement de la secrétairerie d’Etat. Un périple en Indonésie, Timor oriental et Papouasie-Nouvelle-Guinée a été annulé récemment mais « l’Indonésie pourrait se concrétiser fin 2022 », fuite une source crédible. Le Nigeria, le Canada, l’Ethiopie, l’Erythrée ou encore la Chine, « des destinations de plus en plus périphériques », figurent aussi sur un document de travail régulièrement actualisé par la Section pour les relations avec les Etats, l’équivalent du ministère des Affaires étrangères pour le Saint Siège. « Pour François, les périphéries, ce n’est pas que le bout du monde, explique Mgr Ilario Antoniazzi, c’est surtout là où on l’attend le moins », précise l’archevêque de Tunis qui échange régulièrement avec le pape argentin. Le saint Père avait aussi promis à Justin Welby, archevêque de Cantorbéry, de se rendre au Soudan du sud avec ce dernier. Et si, après les éprouvantes Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ) de 2013 au Brésil, le pontife préfère, en raison de l’énergie que cela exige, « aller le moins possible en Amérique latine », il devrait tout de même se rendre en Uruguay et dans son pays natal, l’Argentine, « si Dieu me le permet ». Le pape, qui a écarté récemment toute idée de démission, présidera aussi les prochaines JMJ au Portugal, initialement prévues en 2022 et reportées à l’été 2023.
Une organisation délicate
Revenons au 15 septembre dernier. Ce jour-là, dans l’avion qui le ramène à Rome, le pape annonce que Mgr Dieudonné Datonou passera la main. Le prélat et diplomate d’origine béninoise sera remplacé en tant que « shérif », surnom donné au principal organisateur des voyages du Saint-Père, par l’indien George Jacob Koovakad. Si chaque déplacement du pape répond à une double invitation, celle du pays hôte mais aussi celle de la conférence épiscopale locale, le dernier mot revient au souverain pontife. François a avoué que la lecture du livre Pour que je sois la dernière de la prix Nobel de la paix yézidie Nadia Murad l’a poussé dans son choix de l’Irak. « Deux voyages préparatoires sont nécessaires, parfois un troisième quand la visite est délicate », souligne Mgr Renato Boccardo qui fut « shérif » sous Jean-Paul II. La première visite permet de déterminer, avec le nonce apostolique et les évêques du lieu, les sujets que pourrait aborder le pontife. La seconde permet de travailler sur les détails pratiques, la sécurité, les trajets du pape, son emploi du temps, sa résidence. Le pape loge le plus souvent à la nonciature apostolique, son ambassade. Parfois, il transmet des doléances personnelles – le souhait de rencontrer tel ou tel vieil ami vivant dans le pays ou encore de disposer d’un oratoire dans sa chambre plutôt qu’à proximité du lieu de résidence. S’il se déplace toujours avec son médecin, sa sécurité est assurée par le pays d’accueil, même si deux gardes suisses et quatre à six membres non armés de la police vaticane font partie de la délégation. En comparaison de voyages d’une personnalité du même rang, ceux du pape sont plus simples à organiser, « car nous ne sommes que deux ou trois à y travailler », avoue Mgr Datonou. Pour Mgr Boccardo, « c’est surtout parce que le pape y va en berger, dans la simplicité ». Ce qui n’en fait pas moins des visites très attendues.
Espéré aux quatre coins du monde
Quoi qu’il en soit, les visites de François suscitent l’intérêt des médias, et de plus en plus de pays rêvent de le recevoir. La Tunisie notamment. « Sa venue ici serait un signe pour les minorités religieuses en terre d’islam », insistait l’unique évêque de ce pays qui nous recevait récemment en sa cathédrale de Tunis. Depuis que le président Moncef Marzouki a invité le pontife en 2014 à visiter son pays, Mgr Antoniazzi ne cesse, lors de chacune de ses rencontres avec le chef de l’Eglise, de lui réitérer l’invitation. En Slovaquie et malgré les mesures barrières, 50.000 personnes ont pris part à la messe du pape au sanctuaire marial de Sastin (ouest) le 15 septembre. Les présidents Níkos Anastasiádis (Chypre), Milo Đukanović (Monténégro) et Cyril Ramaphosa (Afrique du sud) ont récemment invité François dans leurs pays respectifs. « Une visite du Pape serait une bénédiction et une consolation pour Haïti » s’est encore exclamé le père Jean Marcel Louis, porte-parole du diocèse des Cayes (sud), dans la foulée du séisme qui a frappé son pays mi-août alors qu’en 2018. Le président Jovenel Moïse avait insisté pour que François se rende en Haïti. En visitant la Palestine, la Jordanie, l’Albanie, la Turquie, le Sri Lanka, l’Azerbaïdjan, la Birmanie, le Bangladesh et plus récemment l’Egypte, le Maroc, les Emirats-arabes-Unis et l’Irak, le pape confirme son intérêt pour les périphéries et les minorités religieuses.
Et la Belgique? En 2019, invité par Mgr Jean-Pierre Delville à se rendre auprès de la « Vierge des pauvres » à Banneux, le pape avait laissé échapper un « pourquoi pas ». L’évêque de Liège, en visite ad limina avec ses pairs belges, en février 2022, devrait renouveler sa doléance.
Max-Savi CARMEL
PHOTO (DR)