Cet été, des jeunes femmes évoquent leur vocation. En 2021, l’engagement religieux a encore la cote. Le tout est peut-être une question d’audace. Cette semaine, rencontre avec sœur Charlotte, une bénédictine.
Vive, pétillante, sœur Charlotte est sacristine à l’abbaye des bénédictines à Liège. Installée boulevard d’Avroy, celle-ci est en plein cœur de la cité ardente.
Parisienne, née dans une famille résolument laïque, celle qui s’appelle encore Margot n’est pas baptisée. « Depuis toute petite, je cherchais Dieu, dans un environnement où je recevais des réponses cosmiques et philosophiques. J’étais fascinée par les familles où il y avait une place pour Dieu. » Habitant près de la grande mosquée du Ve arrondissement, elle avait pour meilleure amie une fillette juive et ne refusait aucune invitation de ses grands-parents paternels qui l’emmenaient parfois à la messe. C’est lors d’une randonnée avec des amis de familles chrétiennes que le déclic va se vivre durant la célébration dominicale. « Une parole m’a rejointe. » Pendant la communion, les attendant sur un banc, elle prend la résolution de demander le baptême. Ce sera chose faite un an plus tard. Pourtant « ma vraie conversion n’avait pas commencé. La démarche était forte, mais je ne pratiquais pas. La rencontre personnelle avec le Seigneur, je ne l’avais pas encore faite. La vie de prière n’était pas encore éveillée en moi. »
Un conflit intérieur intense
Les débuts civils de sœur Charlotte sont pour le moins inhabituels. Sitôt le Bac (diplôme d’humanités) en poche, elle devient intermittente du spectacle. Elle le sera durant huit ans, à Toulouse. « Plus je m’enracinais dans une vie professionnelle de comédienne, plus je sentais que cela n’était pas fait pour moi. » A 24 ans, la jeune femme décide de se rendre dans un monastère pour réfléchir au sens de sa vie. Cap sur Boulaur, une abbaye cistercienne dans le diocèse d’Auch (Gers). « J’y ai vécu un choc phénoménal, un bouleversement complet », nous confie-t-elle. « C’est comme si toute l’énigme de ma vie prenait sens dans cette image d’une communauté de femmes qui priaient ensemble, comme s’il y avait un mystère en moi dont je prenais conscience. C’est un lieu de grâce florissant. J’ai reçu ma vocation là-bas. J’y ai ressenti dans tout mon être que le bonheur, pour moi, c’était de devenir religieuse et de consacrer ma vie à Dieu. » Sur place, la lecture d’une biographie de Claire de Castelbajac, dont le procès de béatification est en cours et le tombeau dans l’église de l’abbaye, la conforte dans sa résolution. Toutefois, la découverte d’une telle vocation n’empêche pas la jeune femme d’être « terrorisée. Pendant un an et demi, j’ai fui de toutes mes forces. J’étais en combat contre l’idée de la vocation et, en même temps, j’avais reçu le don de la prière. Je pouvais passer des heures en oraison. Je n’avais plus qu’un désir: être en silence en présence de la Présence. » Le dilemme est grand pour la jeune femme, qui vit une tension. Quelque temps plus tard, lors d’un séjour dans un ashram (un ermitage), à l’écoute d’un enseignement d’Arnaud Desjardins, la jeune femme est invitée à renouer avec ses racines religieuses d’origine. « L’évidence d’un appel est alors revenue avec force. J’ai senti que c’était à moi d’accueillir la vérité profonde que j’étais en train de refuser. Dès cet instant où j’ai dit oui, tout a changé; une porte de joie et de paix s’est ouverte en moi. »
Un changement radical
Forte de cette résolution, la comédienne décide de changer de vie, optant pour un autre environnement davantage porteur à une vie de foi féconde. Elle reprend alors des études de psychologie. A la suite d’un échange universitaire Erasmus à Liège, elle choisit d’y terminer son cycle, avant de travailler dans la région environnante. La future sœur Charlotte y réalise sa première expérience d’une vie en communauté, dans une maison partagée par des religieuses de la congrégation des Filles de la Croix et des étudiantes. « Il m’a fallu des années pour m’enraciner dans la vie chrétienne », observe-t-elle. La décision du chemin à suivre s’avère d’autant plus complexe que la jeune femme se sent encore taraudée par un désir de maternité. Plus jeune, celle-ci aspirait à avoir 30 enfants! C’est dire si son aspiration d’enfantement est immense. Au fil du chemin et des mois, la nouvelle Liégeoise réalise que le choix final lui appartient. « L’appel est une invitation. Le Seigneur propose, mais jamais Il n’impose. » Au final, neuf années auront été nécessaires à l’accomplissement de son discernement. « Maintenant, je suis convaincue que c’était mon propre désir qui me poursuivait. Je suis faite pour la vie religieuse », confirme-t-elle, « fascinée de la façon dont Dieu nous respecte et entre dans nos vies ».
Parmi les plus jeunes, et alors?
Avant-dernière entrée à l’abbaye Paix Notre-Dame, sœur Charlotte connaît la réalité d’une communauté vieillissante. Quatre des sœurs ont plus de 90 ans, tandis que de nombreuses autres ont dans les 80 ans. Pourtant, l’âge augmentant et le nombre diminuant des religieuses ne l’inquiètent pas, tant est grande sa confiance. « Peu importe. Nous sentons que nous sommes faites pour être données à cette ville. Il y a un amour de celle-ci. Le Seigneur a appelé des sœurs à Liège depuis 400 ans. Il fera quelque chose de bien pour l’abbaye et pour chacune de nous. Dans l’appel, c’est la fidélité de Dieu qui s’engage. » Les récents événements liés aux inondations ont d’ailleurs renforcé la communion des religieuses avec la cité ardente et ses habitants. « Nous sentons une communion très particulière au lieu même où Dieu nous appelle à témoigner de Lui et à demeurer. » Et de se réjouir d’avoir été entourée de conditions favorables pour répondre à son appel, quand tant de gens n’en ont pas l’occasion. Le choix de son prénom s’est d’ailleurs imposé tout naturellement, inspiré par le bienheureux Charles de Foucauld. « C’est vraiment un frère au Ciel. Je me sens en correspondance avec lui », nous glisse encore sœur Charlotte, dans un sourire.
Angélique TASIAUX
Photo Sœur Charlotte © Cathobel