A l’initiative du Jesuit Refugee Service (JRS), trois artistes se sont réunis pour aborder leur travail et déceler l’impulsion qui régit leurs créations. L’art serait-il moteur de l’engagement?
Le temps d’une rencontre virtuelle, trois créateurs ont confronté leurs perceptions et revisité leurs « fondamentaux » en matière de processus créatif. Un dialogue entre Geneviève Damas, écrivaine francophone à la renommée établie, Oussama Tabti, artiste visuel et Coline Billen, chorégraphe et fondatrice de la compagnie Transe-en-danse.
Pour Geneviève Dumas, le déracinement conduit à « un phénomène d’étrangeté, d’extranéité ». Originaire d’Algérie, Oussama Tabti a découvert, non sans étonnement, les multiples catégorisations qui égrènent le parcours des individus: travailleur, migrant, Européen, non Européen… En regardant les sonnettes des murs bruxellois, il a appréhendé des noms originaires des quatre coins du monde et en a conçu une œuvre artistique. En filigrane des noms se cachent souvent « des parcours à la fois incroyables et singuliers. Derrière chaque personne peut se trouver une grande histoire » à laquelle s’identifie celui qui connaît aussi les frustrations des errances administratives. Parti il y a cinq ans de son pays natal, Oussama se sait « chanceux » d’être en mesure de s’exprimer par le biais d’un outil plastique. « L’artiste commence avec une idée, mais chacun a son interprétation de l’œuvre, selon sa propre compréhension. » Au risque de mettre en question les interprétations posées…
Un vecteur d’émotions
Par son travail de composition, l’écrivaine Damas se positionne comme intermédiaire. Elle veut « faire entendre des gens qui n’ont pas accès à la parole à un public cultivé et lettré, proche des situations de pouvoir. Il s’agit de donner à voir la complexité de la société et à entendre toutes les voix. L’artiste est là pour poser les questions, mettre le spectateur ou le lecteur en mouvement. » La Belge en est convaincue, « grâce à l’art, on débusque les réalités toutes faites ». Loin d’être immuables ou réduites, les identités individuelles sont multiples. Selon la chorégraphe Coline Billen, la route des épices, de la soie ou encore du pétrole a favorisé un mode de vie consumériste en Occident, tout en maintenant une forme de « cécité sur l’exploitation mondiale des ressources comme, par exemple, le coton ou le chocolat. Il manque des occasions de dialogue et de rencontre. On reste dans l’entre-soi. Cela ne suffit pas d’écouter de la musique ou de manger un plat, s’il n’y a pas d’échange avec la personne qui l’a cuisiné. » Quelles seraient les solutions, alors? Dès le plus jeune âge, « il faudrait apprendre, à l’école, l’empathie, la communication non violente. Acquérir le calcul ne suffit pas. La décolonisation est récente; ce n’est pas acquis », observe-t-elle, ajoutant: « il importe de ne pas parler pour les gens, mais avec eux ». Pour Oussama, « quand nous interprétons une œuvre devant nous, nous avons tendance à la résumer. Il faut apprendre à ne pas simplifier les choses, pour faire un pas l’un vers l’autre. »
Finalement, une frontière… « se traverse » pour Geneviève, « s’efface » pour Oussama et « se transcende » pour Coline.
Angélique TASIAUX
Le cycle « La frontière comme ligne d’accueil » est (re)visionnable sur le site du JRS www.jrsbelgium.org/De-grens-als-welkomstlijn?lang=nl
Danser pour converser
« Issue de racines déracinées », Coline Billen considère le dialogue interculturel fondamentalement nourricier. « La diversité des points de vue apporte un enrichissement. L’émotion, c’est une question de justice, d’égalité des droits et de beauté de la différence. » Si la danse rassemble depuis la nuit des temps dans toutes les cultures du monde, Coline observe pourtant que « dans l’art d’aujourd’hui, les œuvres sont créées avec différentes vocations. Pour certaines d’entre elles, la danse se suffit à elle-même. » L’intention de la metteuse en scène est différente, puisqu’elle entend déployer, coûte que coûte, « un art qui pose question ». Que ce soit le slam, le théâtre, les marionnettes… « Chaque médium apporte d’autres outils du langage. » Coline met « en scène une série de points de vue. Il s’agit de leur donner la parole en accueillant tout ce que les gens sont et de poser des questions à partir de l’émotion suscitée, d’utiliser toutes les expressions corporelles pour transcender les frontières, les barrières et les peurs. La compagnie Transe-en-danse relie et fait lien entre, au-delà des codes culturels et des prismes. »
Au service des migrants
Organisation internationale fondée en 1980 et présente dans plus de 50 pays, le Service Jésuite des Réfugiés (JRS) compte une antenne belge depuis 20 ans. « Accompagner, servir et défendre les droits des réfugiés et des migrants forcés » constitue l’ADN de celle-ci, avec une attention particulière accordée à la détention administrative dans des centres de détention et des foyers de retour.
Directeur du JRS Belgium, Benoît Van Overstraeten se réjouit de « la montée en puissance » de l’association, qui compte désormais 14 membres du personnel. Depuis le 1er janvier, l’association est membre de la coalition Move, aux côtés de Caritas International, du CIRÉ et de Vluchtelingenwerk Vlaanderen. Grâce à l’appui de fonds extérieurs, un tel « développement majeur » a été rendu possible. Cette avancée, qualifiée de formidable par le responsable du JRS Belgium, permettra d’obtenir « un impact surmultiplié ». Si le soutien moral et psychologique des migrants continue à être assuré, le volet juridique de l’assistance et du plaidoyer est désormais investi de manière significative.
Un recentrement
A la suite d’un nouveau plan quinquennal stratégique, le JRS Belgium a décidé de « recentrer son soutien dans le cadre de la détention administrative », tout en poursuivant un travail spécifique auprès des familles accompagnées d’enfants mineurs, par le biais du plan Together. Face à « l’échec de leur tentative migratoire », l’analyse de leurs forces et de leurs vulnérabilités permet d’accompagner celles-ci dans la définition d’un projet de vie, « de manière légale en Belgique ou à l’étranger ».
Infos: www.jrsbelgium.org