
kardinaal De Kesel interviewen in Mechelen
L’archevêque de Malines-Bruxelles publie un livre dans lequel il interroge les liens entre foi et société. S’il reconnaît que les chrétiens sont de moins en moins nombreux, il les appelle à être missionnaires, et à faire entendre leur voix dans l’espace public.
L’éditeur aura dû insister. Fin 2019, Michel Cool s’en va trouver le cardinal Jozef De Kesel. Le journaliste français travaille pour la maison d’édition Salvator. Et il a une petite idée: l’archevêque belge n’aurait-il pas envie d’écrire un livre? Un recueil d’homélies, peut-être? La réponse est plutôt décevante. « J’étais très réticent », confesse aujourd’hui Mgr De Kesel. « Je lui ai répondu que j’allais y réfléchir… » Le cardinal espère s’en sortir ainsi. Mais le Français est tenace. Et le primat finit par se laisser convaincre. Le sujet est rapidement trouvé: ce sera la place de l’Eglise dans une société sécularisée. Reste à trouver le temps. A l’hiver 2019-2020, l’archevêque rédige les premières lignes. Elles s’enrichiront au fil des mois et malgré les séances de chimiothérapie.
Un changement fondamental
Le point de départ de sa réflexion, c’est le changement. « Lorsqu’on compare la situation actuelle de l’Eglise et de la foi avec celle d’il y a seulement quelques décennies, on ne peut que constater combien elle a fondamentalement changé en à peine deux générations », souligne l’auteur dès l’avant-propos. Se faisant historien, l’archevêque balise quelques étapes de l’histoire du christianisme, depuis l’Antiquité jusqu’au concile Vatican II, en passant par l’importante Réforme protestante. Des crises, il y en a déjà eu, souligne-t-il. Mais l’homme d’insister sur le caractère inédit des temps que nous vivons: de nos jours, la religion – quelle qu’elle soit – n’est plus une évidence. Qu’on le veuille ou non, notre culture est profondément sécularisée.
Un problème? Pas forcément! Car « le christianisme ne présuppose pas que le monde dans lequel il vit soit lui aussi chrétien », souligne le cardinal. Ce pourrait même être une opportunité. « Notre culture est dans ce sens une chance pour le croyant de redécouvrir cette liberté et ainsi redevenir sensible au cœur même de la foi ».
Reste que la modernité sécularisée n’est pas sans danger. Si le cardinal accepte sans nostalgie une chrétienté largement révolue, il ne peut valider toutes les dérives des temps actuels. « Si la modernité veut rester fidèle à son origine et à sa propre raison d’être, elle a tout intérêt à reconnaître ses propres limites. » Et Mgr De Kesel de dénoncer une modernité qui se ferait religion de substitution ou pensée unique. Une modernité qui imposerait aux religions de se tenir dans l’ombre. Conscient que les religions sont « sources d’engagement, d’espérance et de sens », le cardinal, combatif, entend bien leur offrir une place dans la société. Pas d’abord pour l’intérêt des Eglises ou le confort des croyants. Mais pour le bien commun. « On voudrait peut-être bien que l’Eglise ne s’occupe que de ses propres problèmes soi-disant religieux. Mais l’Eglise ne constitue pas un monde à part, un monde religieux vivant à côté du monde réel. Elle accomplit sa mission au cœur du monde et elle vit pour le salut du monde. »
« Ce qui compte, c’est le monde »
Alors que la première partie du livre traite surtout de la société, ce n’est que dans un second temps que le cardinal s’intéresse de plus près à l’Eglise. Cet ordre n’est pas un hasard: « Ce qui compte aux yeux de Dieu, c’est le monde et non l’Eglise en elle-même », souligne le cardinal. Qui ne manque pas de mettre en garde: « Ce n’est pas parce que l’Eglise s’est implantée quelque part qu’elle y restera de toute éternité. » Un manque de foi? Certainement pas! L’archevêque le sait: si l’Eglise est là, c’est uniquement « parce que Dieu la veut ». Il n’empêche qu’il revient aux humains d’en prendre soin et de la faire rayonner.
En ces temps post-Covid, le cardinal insiste précisément sur l’importance de la mission. « La vraie question n’est pas tellement de savoir si l’Eglise est capable de conserver le nombre actuel de membres, même si cela reste un réel souci. La vraie question est de savoir si elle peut attirer de nouveaux membres. » Mgr De Kesel est bien conscient que l’Eglise ne peut se replier sur elle-même. Qu’à force de penser aux siens, elle en oublierait les autres. « C’est à cela qu’on reconnaît la vitalité d’une Eglise: non pas tellement au nombre de membres qu’elle atteint encore, mais au fait que quelqu’un, qui est entièrement intégré dans la culture sécularisée d’aujourd’hui, soit capable d’être touché par la vérité, la puissance et la beauté de l’Evangile. »
Alors, comment la voit-il cette Eglise de demain? Ne redoutant pas de se mettre les nostalgiques (définitivement) à dos, l’archevêque croit voir l’émergence d’une Eglise ouverte, plus humble et (encore) plus petite. Pour autant, il croit qu’en Occident, elle ne pourra devenir une minorité comme une autre. « Le christianisme et l’Eglise sont pour cela trop liés aux racines de notre civilisation et à son patrimoine historique et culturel ». Si l’archevêque évite soigneusement le terme « identitaire », il imagine en revanche une Eglise « plus confessante ». En clair? « Une Eglise bien intégrée dans la société moderne et pluraliste, certes, mais qui résiste à la tentation de l’assimilation et à la tyrannie de la pensée unique. »
Vincent DELCORPS