Le débat fait rage dans la cité des ours, où le bourgmestre Claude Eerdekens veut rapatrier la châsse de sainte Begge dans un nouveau musée. Mais la fabrique d'église refuse de céder la propriété d'un patrimoine remarquable.
Le prestige de la châsse de la sainte n'est pas pour déplaire au politicien Claude Eerdekens (PS) qui y voit une pièce majeure, susceptible d'attirer les touristes dans sa ville. Lors du conseil communal du 22 mars dernier, le bourgmestre a défendu l'idée selon laquelle "le trésor doit être protégé", a fortiori lors des travaux annoncés dans la collégiale à partir du 8 août. Par ailleurs, offusqué par le fait que la châsse de sainte Begge ait été déplacée dans la collégiale de Huy durant l'été 2019, sans autorisation communale, il développe les propos suivants: "En vertu d'un principe juridique très simple, le trésor appartient à la ville. La fabrique d'église en a la garde. (…) Cela nous permet, en tant que propriétaire, d'avoir un regard absolu sur le patrimoine qui fait partie de l'histoire de notre cité. Il est important d'en assurer la pérennité." C'est donc contraint et forcé que Claude Eerdekens se trouve dans l'obligation de saisir les tribunaux. Selon lui, il est "dommage d'aller en justice, mais il eût suffi que la fabrique d'église se range à nos arguments et nous aurions pu venir, devant vous, avec une magnifique convention prévoyant l'avenir de ce trésor, sa possibilité d'être visité par beaucoup de touristes. Il y a là une forme de conservatisme, d'archaïsme fonctionnel dans le chef de la fabrique d'église, donc il faut bien passer à la vitesse supérieure."
Retour en 1796
Dans un communiqué, la fabrique d'église et le diocèse de Namur reviennent sur la nationalisation des biens d'Eglise en 1796, époque de l'invasion de la Belgique par les Français révolutionnaires. "Ces biens ont été donnés aux communes. Ils sont restés propriété communale après l’indépendance de la Belgique." Toutefois, le cas de la châsse andennaise s'avère différent, puisque les chanoinesses l'avaient emportée lors de leur fuite à Namur. La châsse "ne se trouvait donc pas dans l’église lors de sa nationalisation. La châsse a été restituée et confiée à la collégiale vers 1820, après l’établissement du concordat entre Napoléon et le pape Pie VI", précisent les autorités ecclésiales. A la suite de sa restitution à la collégiale, celle-ci est devenue la propriété de la fabrique d'église.
De l'importance du culte
"Aujourd’hui encore, la châsse d’Andenne est un objet de culte avant d’être une œuvre d’art. Elle renferme les reliques de sainte Begge dont le culte est encore vivace au bord de la Meuse. C’est la fabrique d’église qui en assure l’usage, la conservation et l’entretien." Un fidèle nous rapporte d'ailleurs qu'elle sort encore deux fois par an, lors de processions traditionnelles dans la cité. Le diocèse de Namur réfute également les affirmations du bourgmestre d'Andenne, selon lequel la châsse se trouverait séquestrée au seul bénéfice des pratiquants. En effet, "le trésor de la collégiale est bien un patrimoine relevant de l’ensemble de la communauté locale et fait partie intégrante de l’histoire de la cité, tout comme la collégiale elle-même qui fait partie du patrimoine historique andennais. La collégiale est ouverte en permanence et n’est pas un bâtiment à l’usage exclusif de quelques individus possessifs. L’affectation au culte n’est en rien restrictive, elle permet également une valorisation culturelle et patrimoniale à l’attention d’une communauté entière avec sa dimension touristique." Exposer la châsse dans son écrin initial la rend plus intelligible, tant d'un point de vue artistique qu'historique. Malgré des moyens de sécurité limités, certains fidèles n'excluent pas de valoriser le trésor sur place grâce notamment à des vitrines sécurisées.
Par ailleurs, un projet d'exposition était en cours d'élaboration. "A la demande de la ville, le directeur du musée communal Le phare, a rédigé un projet d’exposition de la châsse dans la collégiale. La fabrique et les représentants de l’évêché souscrivaient à ces idées. Les déclarations actuelles du bourgmestre arrivent à contre-courant des résultats d’une étude commandée par lui-même." Les frais engendrés par la saisie des tribunaux vont être au détriment des finances locales, puisque "le bourgmestre va engager des frais de justice à charge des finances communales. La fabrique devra prendre un avocat dont les honoraires seront également, via le compte de fabrique, soldés par la commune. Tout cela relève de l’absurde", indique encore le communiqué de presse diocésain.
Ancrée dans la vie sociale
De son côté, Jean Sacré, le conservateur bénévole du trésor de la collégiale Sainte-Begge, trouve cette polémique "regrettable" et n'est "pas favorable à la construction d'une nouvelle infrastructure". Pour lui, "Andenne est riche en patrimoine religieux. Or celui-ci, sans attention depuis quelques années, ne se résume pas au trésor de la collégiale." Plutôt qu'un nouveau musée, il prône de veiller davantage et en priorité au bon état des espaces de rangement des pièces entreposées, en accord avec les deux autres espaces muséaux de la ville réunis dans le nouvel espace du Phare. L'un est consacré aux vestiges préhistoriques de la grotte Scladina, l'autre à une collection de céramiques. "Investissons pour un local adapté à la meilleure conservation des réserves !" Vu l'énorme potentiel de pièces disponibles dans le seul trésor de la collégiale, qui dépassent le demi-millier, seuls 10 à 15% de celles-ci pourraient être présentés en permanence, tandis que "les réserves pourraient être réunies avec celles d'autres musées. Ce serait au bénéfice des pièces, comme les ornements liturgiques et les sculptures. Pour l'orfèvrerie, les conditions sont réunies à la collégiale, tout comme pour les pierres tombales et les objets de culte". Revenant sur l'exposition de la châsse à Huy, il précise que les équipes du patrimoine ont assuré le transport. "Cela a été fait avec toutes les sécurités. Nous n'avons pris aucun risque", assure-t-il, en rappelant que la châsse est encore en attente d'un classement et ne relève pas d'un droit de regard communal.
En guise de conclusion à leur communiqué, les autorités diocésaines et les membres de la fabrique d'église rappellent leur volonté de "donner plus d’éclat à un patrimoine cultuel". La porte n'est, dès lors, pas fermée aux autorités communales…
Angélique TASIAUX
Illustration : photo Guy Focant (c) SPW-AWaP