C’était au Vietnam. Un jour d’été, quelques collégiens dont j’étais, se proposèrent de faire une excursion en montagne. Ils choisirent un rocher de moins de 1000 m, mais très escarpé. Après pas mal de peine, surtout à cause de la chaleur tropicale, ils arrivèrent enfin au sommet où ils découvrirent un petit plateau rocailleux recouvert d’herbes roussies par le soleil.
Au milieu de ce plateau gisait une grosse pierre rectangulaire présentant une surface presque égale. Cette pierre dont je vais vous raconter l’histoire nous servait cette fois-là de quartier général. L’été suivant, l’envie me prit un jour d’aller me recueillir seul sur cette montagne. Ce que je fis. Arrivé au sommet, je retrouvai sans peine la pierre en question. Je voulais m’asseoir dessus, mais elle était déjà brûlante malgré l’heure matinale. Je remarquai alors une petite plante qui poussait d’une fente au milieu de la pierre. C’était une espèce tropicale appelée banian dont les graines sont minuscules, mais dont les sujets adultes aux branches étayées de nombreuses racines aériennes sont autrement impressionnants que les chênes et les hêtres. Une graine de cette espèce était tombée, Dieu sait comment, dans la fente et, y ayant trouvé un peu de mousse, a germé et poussé. J’aurais pu arracher cette petite plante du bout des doigts, mais à quoi bon ! En redescendant, je l’avais complètement oubliée…
Six ans après, toujours en été, quelques semaines avant de quitter mon pays, je voulus grimper encore une fois sur cette montagne et revoir l’endroit où j’avais vécu des moments inoubliables. Quel ne fut pas mon étonnement lorsque, encore loin, je voyais se dresser, à la place même où devait se trouver la pierre, un arbre puissant aux troncs multiples. Ma surprise fut totale quand, arrivé sur place, je constatai que la pierre était brisée en deux, et visiblement soulevée par les racines de l’arbre…
Ainsi donc, comme une dynamite, mais sans bruit ni éclat, une graine minuscule a fait sauter une grosse pierre… Regardant alors en bas, je voyais, tel un océan d’or, d’immenses rizières gorgées d’eau qui s’étendaient jusqu’à l’horizon et que la brise faisait onduler en vagues successives : la moisson s’annonçait proche et abondante…
C’est arrivé il y a deux mille ans. Sous la poussée de la Vie, une pierre n’a pas résisté ! Sainte fête de Pâques…
Frère Jean-Marie
Lettre de Wavreumont, extrait de : « Il était une foi », éditions CRJC, Liège 1996.