C’est un théologien de renom qui vient de disparaître, à l’âge de 93 ans. C’est aussi un homme dont la liberté de penser provoqua une rupture profonde avec le Vatican. Jusqu’à la fin de sa vie, il dénonça virulemment le mode de gouvernance de l’Eglise et l’autorité du Magistère.
Homme d’opposition? Homme de liberté, aurait-il répondu. Un goût qui plonge ses racines dans les origines de sa vie. La ténacité avec laquelle il s’engagera dans la lutte contre le cléricalisme et certains pans de la doctrine catholique peut s’expliquer par une volonté de liberté développée très jeune. Plus persévérant que d’autres, souvent offensif, Hans Küng sera aussi un homme de dialogue, profondément soucieux de conciliation.
Conseiller du Concile
A 20 ans, il part étudier la philosophie et la théologie à l’université jésuite Grégorienne de Rome. Dans la foulée, son doctorat à la Sorbonne lui apporte une grande ouverture. Il choisit un thème central de la Réforme et prouve que la doctrine de la justification de Karl Barth – un des « pères » de la théologie protestante – peut être réconciliée avec l’enseignement du Concile de Trente.
Doctorat en poche Hans Küng revient à Lucerne. Mais bientôt, Jean XXIII convoque le deuxième concile du Vatican. Le pape le nomme conseiller du Concile en 1961. Le Suisse devient un théologien réformateur de renommée internationale, qui fait bouger les lignes, notamment à propos de la liberté religieuse et des juifs. Si le Concile le laisse quelque peu sur sa faim, il en reconnaît aussi les profonds bienfaits.
Nommé professeur de théologie fondamentale à Tübingen, en Allemagne, il écrit plusieurs ouvrages sur l’Eglise et ses structures. En 1970, son Infaillible? Une interpellation fait grand bruit. Deux ans après la publication de l’encyclique Humanae Vitae, le théologien critique radicalement l’infaillibilité du pape. Le théologien s’éloigne aussi d’autres points de la foi catholique, touchant notamment la consubstantialité du Christ avec le Père ou la Vierge Marie.
La rupture
Le fossé se creuse. En 1975, la Congrégation pour la Doctrine de la foi déclare que « certaines opinions du professeur Hans Küng s’opposent, à des degrés divers, à la doctrine de l’Eglise, qui doit être tenue par tous les fidèles ». Mais l’avertissement ne suffit guère. En 1979, la même Congrégation déclare que le Suisse « s’écarte de l’intégrité de la vérité de la foi catholique et, par conséquent, ne peut plus être considéré comme un théologien catholique ni ne peut (…) exercer une charge d’enseignement ». La déclaration est approuvée par le pape Jean-Paul II. Mais Küng n’entend pas être ainsi réduit au silence. Il continue à enseigner, multiplie les conférences et répond aux nombreuses questions des journalistes.
Pionnier de l’œcuménisme, cherchant ce qui peut rassembler les hommes et les religions, Küng se fait de plus en plus penseur universel. L’Oikumenē, toute la terre habitée, devient son sujet de prédilection. Existe-t-il des commandements de base communs aux religions, malgré toutes leurs différences? Les agnostiques et les athées peuvent-ils partager les croyances éthiques des personnes religieuses? Ces questions sont à la base de son Projet d’éthique globale (Weltethos). Traduit en dix-sept langues, le livre fait sensation. En 1993, Küng rédige la Déclaration sur l’éthique mondiale pour le Parlement des religions du monde à Chicago. En 2001, il s’adresse à l’Assemblée générale des Nations unies.
En 2005, le pape Benoît XVI reçoit son ancien collègue à Castel Gandolfo. L’échange est « fraternel » mais n’est pas synonyme de réconciliation. Jusqu’à la fin de sa vie, Hans Küng n’aura pas tu ses divergences d’avec Rome, notamment sur la délicate question de la fin de vie.
Vincent DELCORPS (avec cath.ch)
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