Une petite trentaine de titres compose la collection « La Traversée », dédiée aux adultes en apprentissage de lecture. En moins de dix ans, le succès est au rendez-vous auprès de publics souvent négligés des publications contemporaines.
Décerné par la Fondation Charles Plisnier, le Prix de langue et littérature Joseph Hanse a récompensé, en décembre dernier, l’ensemble de la collection « La Traversée ». Il ne s’agit donc pas de primer un titre en particulier, mais l’ensemble d’une démarche. « Cette édition est en effet consacrée à la mise en valeur de nouvelles approches de la langue française, en relation avec l’évolution de la société ou avec des problématiques sociétales. »
Présidente d’honneur de la Fondation Charles Plisnier, Marie-Ange Bernard se réjouit de cette sélection. « Ce sont des romans écrits par des auteurs belges de grande qualité. Il s’agit d’une introduction à la littérature. Même en faisant des phrases courtes, chaque auteur déploie son propre style. Apprendre une langue, ce n’est pas uniquement de la grammaire ! Ce choix rencontre le côté pédagogique que nous avons envie de développer à l’association. » A travers la remise de ce prix, la fondation entend « encourager une maison d’éditions qui assure un travail remarquable depuis des années. C’est le principe d’une collection de qualité avec des sujets d’actualité : l’écologie, la migration… Egalement reconnue en France, cette collection de vrais romans a toute sa valeur ». Rita Stilmant, la directrice de Lire et Ecrire Luxembourg, voit dans cette distinction « la reconnaissance de l’expertise de ces hommes et de ces femmes qui ont des savoirs et des compétences pour mener à bien ce projet et valider les manuscrits. C’est aussi la reconnaissance des cultures dont les personnes sont porteuses. Le prix met en valeur le processus d’éducation populaire mis en œuvre avec des adultes en situation d’illettrisme que nous accompagnons dans l’association. C’est la mise en valeur d’un travail que nous menons au quotidien. »
Combler un manque
L’absence de romans à destination d’un public adulte en apprentissage a prévalu à la création de « La Traversée ». Trop souvent, les adultes ont pour premiers compagnons des livres conçus pour les enfants, voire des adolescents. A la suite de ce constat et à la demande explicite des personnes illettrées, un comité d’accompagnement du mouvement associatif Lire et Ecrire Luxembourg a décidé de créer des ouvrages avec des thématiques dévolues au public adulte, en coédition avec les éditions Weyrich.
Responsable actuelle du projet, Nathalie Husquin précise le déroulement de création, long d’une année, voire même d’une année et demie… « C’est une co-construction entre l’écrivain qui s’engage et la relecture du manuscrit par des personnes en formation. Après un accord de principe, l’auteur rencontre un groupe d’apprenants, intéressés par le projet. Ce groupe devient porteur et fil conducteur du livre. Le rapport à la lecture de chacun des participants est envisagé durant l’animation. Ensuite, l’écrivain a plusieurs possibilités, selon son processus de création. »
Des balises claires
Une charte graphique est remise à l’écrivain, qui s’engage à respecter différentes contraintes, parmi lesquelles le fait de privilégier des phrases simples, « mais pas simplistes », l’indicatif présent, des chapitres courts, un nombre déterminé de signes (l’équivalent de 13 pages du journal « Dimanche »). Il peut alors soumettre l’ensemble de son travail, qui fait l’objet d’une relecture critique consciencieuse. « La mission des groupes est d’identifier les freins, comme des mots difficiles, des passages de chapitres, des retours en arrière… Annoté, le manuscrit est retravaillé. » Il ne s’agit pas de supprimer les mots, mais plutôt de contourner les difficultés par une courte phrase explicative. Ensuite, les manuscrits sont à nouveau évalués par d’autres groupes constitués d’une dizaine de personnes. La relecture commentée et l’analyse en cascade peuvent, dans certains cas, avoir lieu jusqu’à quatre reprises ! A l’inverse, d’autres écrivains préfèrent mener l’ensemble du processus avec un seul et même groupe. Dans ce cas, il se place « au service de l’histoire » et la propose au fur et à mesure de l’état de son avancement. Il arrive ainsi que des touches personnelles soient adressées aux apprenants impliqués, par le biais d’une description ou d’une allusion, pour la plus grande fierté des personnes croquées !
De multiples avantages
Auprès des participants à ces projets rédactionnels, Nathalie Husquin observe « un lien affectif avec la collection du premier livre lu, un accès à l’imaginaire, une transformation identitaire, davantage de confiance en eux et d’audace ». Rita Stilmant relève aussi « des enjeux identitaires, une légitimité, une reconnaissance et une transformation de l’individu, qui ouvre ses perspectives ». Certains d’entre eux sont même devenus les ambassadeurs de la collection, en la présentant, à leur tour, à d’autres groupes de formation. Et le succès est au rendez-vous, au-delà des seuls apprenants, puisque les caractères plus grands sont précieux pour les yeux des personnes âgées, sans oublier les classes de jeunes adultes encore scolarisés.
Angélique TASIAUX