On le voit dans les gares et sous des cartons. Et pourtant, à côté du sans-abri « visible », se cachent d’autres personnes qui n’ont pas de toit. Dans son dernier numéro, En Question, la revue du Centre Avec, renouvelle la vision du sans-abrisme.
C’est un homme, il vit en ville, dort dans des cartons et quémande quelques sous. Lorsqu’on vous parle de sans-abris, telle est sans doute l’image qui s’impose à vous. Caricaturale? Un peu. Réductrice surtout. Car si tel est le profil du sans-abri le plus visible, il n’est pas celui du sans-abri le plus nombreux.
Les femmes cachées
Parmi la foule des « sans-abri », outre les personnes qui vivent dans l’espace public se trouvent celles qui occupent des hébergements d’urgence ou pour sans-abri, celles qui logent dans des squats ou caravanes, voire celles qui sont hébergées chez des proches. Or, la majorité de ces personnes sont pratiquement… invisibles! « Les tentes attirent éventuellement l’attention lorsqu’elles sont en milieu urbain, les squats quand y éclate un incident », relève Patrick Italiono, sociologue à l’Université de Liège. « Mais ceux qui se trouvent dans un hébergement provisoire sont invisibles au public, aux médias, aux politiques, et dans une large mesure même aux services sociaux spécialisés. »
Sans doute la majorité des sans-abri présents dans les centres-villes sont-ils des hommes. « Souvent, les femmes évitent la rue parce qu’elles assument la responsabilité d’enfants », reprend le sociologue. « Et si elles sont dans la galère avec des enfants, les services sociaux se démèneront d’autant plus pour ne pas les laisser à la rue. La vie à la rue est aussi plus dangereuse pour les femmes. » C’est pour leur venir en aide que l’association BruZelle a vu le jour. Son objectif: lutter contre la précarité menstruelle. « En moyenne, le coût pour une personne ayant un cycle ‘normal et régulier’ est aux alentours de 12€ par mois », explique Manon Lespes, bénévole. « Si ce coût semble faible, il est exorbitant pour des personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté ». C’est par la distribution de serviettes menstruelles que BruZelle soutient les femmes qui en ont besoin.
La centralité du logement
De la face immergée de l’iceberg émergent d’autres catégories. Les jeunes, par exemple. « En ville, les jeunes sans-abri visibles sont souvent toxicomanes, mais on s’attend à un bien plus grand nombre de jeunes non toxicomanes parmi ceux qui sont hébergés chez des proches », relève Patrick Italiano. Il y a aussi les migrants. Particulièrement peu visible, cette partie de la population soulève parfois le malheureux débat entre « nos pauvres » et ceux venus d’ailleurs…
A la diversité des profils s’ajoute celle des parcours. Le terrain montre que peu de gens sont immunisés contre le sans-abrisme. Parmi les événements déclencheurs: un divorce, la perte d’emploi, un accident de santé – et le plus souvent une conjonction de plusieurs facteurs. « Au sein des personnes hébergées chez des proches ou dans des logements de transit, on trouvera des personnes pour qui cette situation est très conjoncturelle, et qui, passé le ‘coup’ de l’accident de parcours, rebondiront vers des solutions de logement possiblement dignes et durables », reprend Italiano. « Mais si les ressources sont faibles ou difficilement mobilisables, la situation de galère risque de se prolonger. »
En révélant la diversité des profils, les chercheurs entendent mettre en évidence la nécessité de diversifier les types d’accompagnement. Sans pour autant masquer le mal originel: celui du logement. « L’enjeu premier ne se situe pas dans les (éventuels) déficits des individus, mais au niveau global dans l’accessibilité toujours moindre du logement, dont l’évolution du marché est un élément central de la concentration du capital et de l’augmentation des inégalités », conclut Italiano.
Vincent DELCORPS
La revue En Question est éditée par le Centre Avec. Dernier numéro: « Habiter la rue : une voie sans issue? ». 5€ au lieu de 7 pour les lecteurs de Dimanche (hors frais de port) Infos: www.centreavec.be –info@centreavec.be
Photo © Nathan Dumlao/Unsplash