Dans la foulée du premier confinement, Fabienne Bister s’est penchée sur la situation spécifique des dirigeants, avec la rédaction d’un manuel piloté par une entreprise de gestion des ressources humaines. L’ancienne femme d’affaires reconvertie en coach de vie professionnelle revient pour nous, à cette occasion, sur sa carrière.
Rencontrée au début de l’automne, Fabienne Bister dressait un bilan du confinement et de ses répercussions dans la gestion des équipes. Un prétexte pour aborder avec elle son parcours hors du commun: administratrice déléguée de la moutarderie Bister-L’Impériale, vice-présidente de la Fédération des Entreprises de Belgique, administratrice de l’Union Wallonne des Entreprises…
Aux yeux de la Namuroise, les managers figurent aussi parmi les oubliés de la crise sanitaire. « Il y a eu un tourbillon d’émotions, des collaborateurs que vous ne reconnaissiez plus. Certains, dynamiques, étaient tout à coup enfermés dans leurs peurs. D’autres sont devenus des héros de la solidarité! » La gestion d’une situation aussi incertaine n’a jamais été envisagée dans les formations des étudiants. « Les patrons ne sont pas des surhumains, ils doivent gérer leurs émotions, en plus de celles des autres. C’est très lourd. Or une entreprise est toujours à l’image de son patron d’une manière ou d’une autre, cela percole à tous les niveaux. C’est d’autant plus important qu’ils aillent bien, aujourd’hui et demain. »
Un besoin de partage
Fabienne Bister observe une nouvelle forme de solitude, liée notamment à l’absence des réunions, occasions implicites de partage informel pour les gestionnaires. « Ils se sont sentis très isolés dans cette peur panique. La plupart ont dû endosser un rôle de parentalité jusqu’à des limites énormes. » A la sortie du premier confinement, les décideurs se sont retrouvés dans des tables de discussion. Au départ de leurs observations a été rédigé un document intitulé « Réflexions sur l’Humain au cœur des organisations ». « Cet arrêt soudain a créé une zone de silence et de réflexion autour de chacun. » La rémunération a de l’importance, mais n’est pas la seule à entrer en ligne de compte; le besoin du sens l’emporte dans une activité professionnelle. « De plus en plus de jeunes veulent une entreprise dans laquelle ils se retrouvent, qui a des valeurs qui leur correspond. Ils nous ont parfois vu perdre notre vie à essayer de la gagner et ils n’ont pas envie de vivre cela. Il y a aussi un besoin de reconnaissance, complémentaire à celui du salaire. »
Vers un processus collaboratif
Les émotions ont fait leur entrée dans le monde de l’entreprise. « Nous n’étions pas supposés avoir des émotions au travail. Or elles ont un rôle de révélateur dans la vie. En tenir compte ne signifie pas être psy! Vous ne pouvez pas limiter quelqu’un à une description de fonction. Je trouve porteur de permettre à chacun de mettre toute une série de ressources, non seulement en termes de compétences, mais de comportements, de réflexions, de visions d’avenir au service de l’équipe. »
Elle observe d’ailleurs la remise en question des contrats à durée déterminée et indéterminée par une partie de la population. Et de plaider pour la possibilité des contrats par projet (CPP), qui impliquerait « une quantité et une qualité de travail à délivrer » avec davantage de flexibilité. La gestion actuelle des ressources humaines lui paraît plus attentive à la personnalité des gens qu’autrefois. « Il y a 30 ans, on était beaucoup plus des numéros qu’aujourd’hui. » La discussion l’emporte, au point que certaines entreprises se tournent vers l’holacratie, avec un renversement total de l’organigramme pyramidal. Ce changement de gestion n’est toutefois pas sans déstabiliser des collaborateurs insécurisés à l’idée d’une participation active au processus décisionnel. Il importe, souligne-t-elle, de communiquer de manière plus individualisée avec les membres d’une équipe, « en fonction de la manière dont la personne va le comprendre ». De même, « une équipe n’est pas un groupe, mais un groupe qui va vers un objectif commun ».
Une entreprise familiale
En Belgique, le nom de famille de Fabienne Bister est bien connu. Qui n’a pas dans ses armoires un pot de verre en forme de grenade, rempli de moutarde? Si reprendre la direction d’une société familiale n’est pas toujours simple, la vendre l’est encore moins, constate celle qui a remis les rênes de l’entreprise l’an dernier. « C’est une chose d’entrer dans une entreprise familiale, mais c’est beaucoup plus difficile d’en sortir! J’avais encore mille projets pour mes moutarderies, mais les moutarderies n’étaient plus mon projet. » La reprise d’un tel type de structure implique de gérer à la fois un aspect entrepreneurial et un autre volet plus affectif. Les deux ont une incidence mutuelle permanente. Ainsi, reconnaît-elle avoir dû mettre son père à la retraite, lui qui n’envisageait pas le moins du monde de la prendre à 70 ans. « Je n’ai jamais voulu faire carrière dans l’entreprise, je l’ai reprise comme un défi et, au bout de dix ans déjà, j’avais atteint mon objectif initial. » Alors, il a fallu concevoir de nouveaux objectifs, comme la construction d’une usine en France ou l’informatisation…
S’inscrire dans son époque
Fabienne Bister a incarné la féminisation des postes de direction. Ainsi, sa vice-présidence à la FEB a-t-elle eu « valeur d’exemple » et permis ensuite à d’autres femmes d’accéder au poste de la présidence. « Avec les hommes, il y a une complémentarité et surtout une forme d’égalité à rechercher. » Des quotas, elle concède qu’il s’agit, somme toute, d’un « mal nécessaire ». Le plafond de verre limite encore l’évolution des carrières de bon nombre de femmes; « il est aussi culturel. Beaucoup de femmes n’osent pas prendre une place qui leur revient naturellement. » Elle le constate dans sa pratique de coach, une difficulté du recrutement se pose dans certaines professions. D’où la nécessité d’encourager les jeunes attirés par des fonctions plus pratiques et de reconnaître que les diplômes universitaires ont été longtemps survalorisés.
Dans ce nouveau chapitre de sa vie, les projets abondent, qu’il s’agisse de la transmission de son expérience par l’accompagnement de jeunes entrepreneurs ou du coaching professionnel: « j’accompagne la réflexion en aidant la personne à faire sauter elle-même ses petits verrous de peur et de blocage. » La phrase finale lui revient: « Beaucoup de gens voient le travail comme une sorte de goulag, alors que pour moi c’est, clairement, une liberté incroyable. »
Angélique TASIAUX
Pour lire le document « Réflexions sur l’Humain au cœur des organisations »: https://www.bao-group.be/whitepaper
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