Que d’histoires autour du travail… Tantôt drôles, tantôt effroyables, toutes celles rassemblées dans « Le bureau des secrets professionnels » sont authentiques. Des souvenirs d’hier et d’aujourd’hui à explorer ou à picorer au gré de sa curiosité.
Sujet fondateur de l’existence, le travail occupe de nombreuses heures de celles-ci. Turbin pour les uns, taf pour les autres… De multiples noms traduisent l’attachement ou la répulsion qu’il suscite. Dominique Costermans et Régine Vandamme sont parties à la pêche aux histoires vécues, n’hésitant pas à les collecter auprès des gens dans les bureaux de placement, les syndicats, les réseaux sociaux… Durant 18 mois, près de 400 témoignages leur ont été confiés, dont la majorité oralement. Aux deux écrivaines, ensuite, de mettre en forme ces récits courts pour en faire des chapitres construits. « Ce livre est comme un roman, avec un début et une fin. Il y a eu un travail d’articulation des nouvelles les unes aux autres, avec une dramatisation et un contraste pour que cela vibre à l’intérieur des chapitres. Le fait d’écouter et de l’écrire valide l’histoire. Il y a des histoires fondatrices, gardées dans la mémoire », pointe Dominique Costermans. « C’est une expérience particulière d’écrire un livre collaboratif, au service des autres. » Ni sociologues ni anthropologues, les deux écrivaines n’interprètent pas la mosaïque d’expériences rapportées.
L’exploration d’un engagement singulier
De ces expériences partagées sont nés deux volumes, dont le premier vient de sortir de presse. Le second est d’ores et déjà annoncé en 2021, avec une préface d’Isabelle Ferreras, une sociologue du travail. Les récits se trouvent répartis dans les deux livres en fonction du domaine de compétences pratiqué. « Chaque territoire est traversé par une même thématique: la mort, les abus, la solidarité, les inquiétudes par rapport aux fins de mois… Le travail construit l’identité, ce n’est plus nécessairement la famille, reléguée dans l’intime », constate Dominique Costermans. Lors d’une prise de contact entre inconnus, la question de l’emploi arrive souvent en tête des préoccupations. « Le travail est un lieu d’inscription dans le lien social, même si des conflits ou la productivité abîment la propension que chacun a de se rendre utile. Contribuer à la bonne marche du monde » constitue une aspiration commune à de nombreux individus.
De tous ces témoignages reçus comme des cadeaux, l’écrivaine brabançonne retient notamment le parrainage ou le compagnonnage lors des débuts dans certaines professions. Si la situation générale évolue, avec davantage de sécurité et des progrès notables en matière de reconnaissance des droits féminins, elle déplore la persistance d’une certaine fragilité en matière d’acquis sociaux. De toutes ces aventures, elle confie aussi l’émerveillement face à ces voyages dans d’autres domaines d’activité, tous ces « territoires » inexplorés. Car chaque univers professionnel détient ses propres codes, que l’on soit engagé dans une usine, un magasin, un hôpital ou une école. Les environnements se trouvent cloisonnés. Il est d’autant plus amusant de les observer de manière inopinée. Parmi les récits du livre, celui d’un moine hospitalisé et accueilli par une jeune technologue souriante rend compte que les signes d’humanité les plus simples sont souvent les plus inspirants. Ainsi, à l’issue d’un examen radiographique, le moine âgé prie avec la jeune femme, laquelle a « illuminé sa journée ». En guise de remerciement, il lui confie un petit bout de papier, qu’elle conservera comme un talisman. Sur celui-ci se trouve inscrit: « Curvata resurgo. Courbée, je me redresse. »
Angélique TASIAUX
Envie de participer à la collecte d’histoires ? Il est encore possible de témoigner à propos du télétravail lors du confinement, via letravailetmoi@gmail.com
Dominique Costermans & Régine Vandamme, « Le bureau des secrets professionnels. Histoires vécues au travail ». Renaissance du Livre, septembre 2020, 248 pages.
Illustration : V. Pipers