Dans Les Funambules, le journaliste Mohammed Aïssaoui rend hommage au monde du bénévolat. Au travers de témoignages recueillis chez ATD Quart Monde, aux Restos du Cœur, au Collectif des Morts… on comprend que l’essentiel n’est pas matériel. C’est la considération, l’attention, le respect.
Lorsque Monique s’est engagée auprès des Restos du Cœur, elle avait déjà travaillé vingt-sept années dans une société, dépendante de la Caisse des dépôts à Paris. Poussée vers la porte de sortie, en raison de son « grand » âge (55 ans…), elle s’est tournée vers le monde associatif afin de mettre son expérience professionnelle au service d’autrui. Elle aurait pu la mettre au service d’entreprises contre rémunération, mais elle a préféré ces quelques mots: « Se sentir utile aux autres. » Comme la plupart des volontaires, elle démarre en distribuant des repas, mais très vite, elle réalise que ce n’est pas suffisant. Tout en découvrant que le bénévolat est un engagement qui exige ponctualité et endurance, elle cherche comment être plus utile, en d’autres termes, comment faire en sorte que les personnes vulnérables n’aient plus besoin d’attendre la distribution des repas. Elle part en quête du point de rupture, ce moment où le « funambule » ne tient plus sur le fil ténu de la vie et bascule. Pour elle, la fêlure se produit généralement lorsque la personne n’a plus de toit – un besoin si essentiel que même dans la rue, les personnes se battent pour occuper un bout de trottoir, une bouche d’aération, un banc plutôt qu’un autre. « J’ai connu une personne, une amie qui était cadre dans une entreprise. Au début, elle se levait tous les matins pour préparer son petit déjeuner, accompagnait son fils à l’école, puis au fil des mois, elle ne s’est plus levée, (…), les liens avec les autres se sont défaits », témoigne Monique dans les Funambules. « Quand cela dure trop longtemps, il y a comme une installation dans cette précarité, qui devient très difficile à surmonter. » Pour ramener ces personnes dans le giron d’une existence humaine, l’essentiel n’est pas matériel. C’est la considération, l’attention, le respect.
Héros de notre époque
Aux Restos du Cœur comme à ATD Quart Monde, les bénévoles sont « les héros de notre époque », écrit l’auteur. « Il y a des commentateurs pour tout, mais eux, on ne les entend pas, on ne les voit pas et pourtant ils sont partout. » Dans les associations que Mohammed Aïssaoui fréquente, il découvre un monde organisé, professionnel, divisé en spécialités: distribution de nourriture, maraude, aide à la personne, inscripteur-orientateur… Rien qu’aux Restos du Cœur, ils sont 75.000 bénévoles. Pourtant, ceux qui y travaillent, sont discrets, réservés. Ils ne se confient pas aisément. Ils ont l’attention orientée vers ceux qu’ils aident, même s’ils savent que ceux qu’ils aident, parfois les aident, aussi. Pour être bénévole, il y a une règle d’or: mettre son ego de côté et ne pas étaler sa propre souffrance. Une forme d’ascèse, de décentrage qui n’a rien d’évident. « Le bénévolat c’est comme l’amour maternel, témoigne Annick, ça pousse au fur et à mesure du temps, ça ne prend pas forcément tout de suite. »
Allant de témoignages en quête de souvenirs personnels attachés à sa mère, l’auteur part à la fin du livre à la rencontre du Collectif des Morts, cette organisation bénévole qui rend hommage aux personnes décédées dans la rue ou isolées: 500 à 600 chaque année en France. Les bénévoles du Collectif des Morts collent des affiches sur les murs du quartier où la personne a été retrouvée décédée, discutent avec le voisinage afin de retrouver un nom, un prénom, parfois seulement un surnom. Ensuite, ils organisent une cérémonie dans le Jardin de Villemin, rue des Récollets près de la gare de l’Est à Paris, où un mémorial porte des centaines de noms, chacun étant accompagné de quelques informations récoltées par les bénévoles.
Un moment d’une puissante émotion accordé à ces vies anonymes, détruites, qui sans les bénévoles, – ce seul regard porté sur eux –, n’auraient même pas eu droit à ces quelques mots.
Laurence D’HONDT
© Alain Pinoges