L’album illustré « Timéo et sa drôle de famille » invite à évoquer le handicap avec les enfants… Sa conceptrice, Cécile Gandon, a accepté de répondre à quelques questions sur ce sujet sensible.
Comment est né cet album ?
Au départ, j’ai écrit cette histoire dans le cadre des après-midis de rencontre organisées chaque année par la fondation OCH (l’Office chrétien des personnes handicapées) pour les jeunes enfants ayant un frère ou une sœur avec un handicap. J’ai peint de grandes planches d’aquarelle en A3 et nous lisions le texte aux enfants, les faisant réagir à chaque planche. « Et toi, ton frère, il est différent ? Tu es en colère parfois ? « Fait-il parfois des crises ? « Vous arrive-t-il de vivre des moments joyeux ensemble ? » Le frère de Timéo, Greg, est un peu différent. « On ne sait pas trop ce qu’il a », dit Timéo. Je voulais garder une part de mystère sur le handicap, pour que chaque enfant puisse se retrouver, et aussi parce que ce qui compte ce n’est pas d’abord le handicap, mais la personne qui le porte, et surtout la relation qui se tisse, la complémentarité…
Connaissez-vous personnellement le handicap ?
Oui, moi-même j’ai un handicap moteur. J’ai toujours aimé écrire et dessiner, mais c’est lors d’une hospitalisation longue que j’ai commencé à prendre vraiment au sérieux l’illustration. Dessiner, raconter une histoire, cela permet de prendre un peu de recul et de mettre en lumière les facéties de la vie. Quand on regarde bien, la vie nous offre de multiples occasions de faire preuve d’humour.
Ce livre répond-il à un besoin ?
Oui, les enfants ont besoin de dire ce qui les habite. Il faut parfois les y aider, ce n’est pas évident d’exprimer des émotions négatives comme la jalousie, la honte, la colère ou la tristesse, et de comprendre qu’on peut éprouver simultanément des sentiments positifs comme de la tendresse, de la joie, un désir de complicité. Cette histoire peut permettre aux parents, ou aux enseignants, d’amorcer le dialogue, d’expliquer ce qui se vit par rapport au handicap… de comprendre qu’on ne se réduit pas à son émotion. Et puis surtout, l’enfant se rend compte qu’il n’est pas seul. Comme Timéo, il y a d’autres enfants qui peuvent se poser les mêmes questions, vivre des situations similaires. C’est un soulagement ! Le handicap déstabilise, il fait mal, mais on peut aller plus loin. Un chemin est possible dans la découverte de l’autre, de ses talents propres. En ouvrant les yeux sur l’autre, je découvre aussi mes propres richesses.
L’évocation de la situation des fratries demeure-t-elle encore un tabou ?
Je ne crois pas. Au contraire, je vois pas mal de groupes de parole qui émergent… des livres aussi… Il y a beaucoup plus de silence sur la situation des enfants ayant un père ou une mère en situation de handicap, mais c’est encore un autre sujet.
Quelle(s) suggestion(s) formuleriez-vous pour des familles qui rencontrent le handicap dans leur chair ?
C’est important d’en parler ! A tête reposée, pouvoir revenir sur les crises… Relire ce que l’enfant handicapé a vécu, mais aussi ses frères et sœurs. Parfois, les grands-parents sont un relais très bienfaisant : l’enfant peut exprimer des choses qu’il ne dirait pas à ses parents. Et puis, se faire aider. En France, l’OCH propose un service « Ecoute et Conseil » pour les familles qui en ont besoin et des journées de rencontre qui permettent de se rendre compte que l’on n’est pas seul.
Cet album s’adresse-t-il uniquement aux enfants ?
Il s’adresse aux jeunes lecteurs à partir de 5 ans, mais aussi à toute la famille et à toute personne en contact avec des enfants, désireuse d’engager un dialogue autour de la fragilité !
Quel a été l’apport de la Fondation OCH ?
La fondation OCH, forte de sa longue expérience d’accompagnement des familles, m’a vraiment guidée dans les thèmes à aborder… Et m’a vivement encouragée pour la publication ! Je suis très heureuse de contribuer par là à sensibiliser les gens aux difficultés et aux joies que peuvent rencontrer les familles.
Comment gérer le handicap dans une vie d’enfant ?
Il me semble que l’enfant compose très vite avec la différence… Souvent, la différence n’est pas un frein pour lui, elle éveille sa curiosité et une explication simple suffit.
La difficulté surgit à partir du moment où l’enfant est en groupe, à travers la moquerie par exemple. Peut-être parce qu’il est difficile, dans un groupe, de se démarquer en expliquant ce qui nous habite vraiment. Le handicap se gère plus facilement dans une conversation à deux ou trois, avec une personne de confiance, un grand-parent, un professionnel, un ami…
Angélique TASIAUX
Cécile Gandon, « Timéo et sa drôle de famille ». Pierre Téqui éditeur, 2020, 32 pages.