Publié au début du confinement, Le cafard comporte des qualités intemporelles, tout en se jouant des codes contemporains.
En 150 pages, l'Anglais McEwan livre un texte pétillant à propos de l'absurdité du Brexit, objet de spéculations plus fumeuses les unes que les autres. L'inquiétude perce dans ce pamphlet au titre peu avenant, qui met en scène un cloporte aux allures de Premier ministre, "apparemment victime d'un changement de personnalité".
Ian McEwan est un écrivain talentueux, auteur notamment du roman L'intérêt de l'enfant. Celui-ci s'interrogeait subtilement, en 2014, sur la portée des convictions religieuses et sectaires dans les choix éthiques. Cette fois, c'est encore l'actualité qui impose son sujet avec le retrait fracassant de la Grande-Bretagne au projet de l'Union européenne. Dès la préface, Ian McEwan ne mâche pas ses mots. Mais, plutôt que des lamentations, il préfère tourner en dérision le processus dans une satire caustique. Ainsi, la Grande-Bretagne serait-elle appelée à devenir rien de moins que "le meilleur endroit sur Terre" grâce aux lumières du Réversalisme. C'est par le biais de cette théorie abracadabrante que l'auteur plonge dans les racines de l'absurde érigé en principe économique. "Il est plus que possible, et moins qu'impossible, qu'en 2050 le Royaume-Uni ait l'économie la plus dynamique et la plus prospère d'Europe. Nous serons au centre d'un nouveau réseau d'échanges commerciaux à flux renversé. Nous deviendrons les meilleurs dans tous les domaines." Les tweets de soutien envoyés par Archie Tupper ne sont pas sans rappeler ceux tout en nuances de Donald Trump.
De fausses allégations
McEwan démonte les rouages du populisme, mais aussi "une suite de mensonges bien ficelés" dans une confession dont "le récit générait sa propre vérité". Utilisant les révélations propres à l'ère du mouvement de dénonciation des agressions sexuelles #MeToo, il explore les mécanismes de discours contemporains. Au-delà du cas de la seule Grande-Bretagne taraudée par des envies disparues de grandeur, Le cafard compose une satire de la modernité. Ses travers et ses dangers se trouvent détaillés. "Dans une période aussi difficile, le pays avait besoin d'un ennemi sûr." La résurgence d'un bouc émissaire, responsable de tous les maux, est une formule utilisée depuis la nuit des temps. Elle n'est pas sans avoir mené au Brexit…
Angélique TASIAUX
Ian McEwan, Le cafard. Gallimard, mars 2020, 153 p.
