Dépasser les malentendus autour de Jésus


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Dépasser les malentendus autour de Jésus
Par Sophie Delhalle
Publié le - Modifié le
4 min

pixabay CCO

Voici un ouvrage éclairant dont la pédagogie n'altère en rien la profondeur du contenu. Jean-Marie Ploux nous propose de décrypter les malentendus qui se sont greffés autour de la personnalité de Jésus, et ce déjà de son vivant. Prophète? Maître? Fils de David? Messie ? Fils de Dieu? Fils de l'Homme? Christ? Autant d'appellations lourdes de sens mais pas toujours bien comprises ni ajustées selon le prêtre et théologien.

Pour Jean-Marie Ploux, les évangiles ont pour vocation de répondre à la question "Qui était Jésus?" et invite le lecteur à répondre lui-même à cette interrogation. Qui est l'homme pour Dieu? Qui est Dieu pour l'homme? Voilà ce qui se trouve au coeur des quatre évangiles.

Une nouveauté qui bouleverse

Or "les réponses des disciples, des gens ordinaires et des autorités religieuses et politiques ont toutes été grevées de malentendus [...] D'une certaine manière, ces malentendus étaient inévitables car les contemporains de Jésus n'avaient à leur disposition que les expressions habituelles et traditionnelles de la foi [...] pour comprendre le message et la vie de Jésus." La nouveauté de Jésus ne pouvait que faire éclater les vieilles outres (Mc 2, 22).

Mais avant d'entrer dans le vif du sujet, l'auteur recontextualise le récit de la vie et de la mort de Jésus en nous décrivant le paysage politique de la région où est né celui que certains reconnaitront comme le Messie. Toutefois, pour comprendre Jésus, souligne Jean-Marie Ploux, il ne suffit pas de saisir le contexte géographique, politique et historique, mais il faut également pouvoir situer l'action de Jésus au milieu des courants et des partis qui divisent alors le peuple d'Israël: sadducéens, publicains, pharisiens, esséniens, baptistes, zélotes ...

Le théologien nous rappelle également que les évangiles ont été rédigés alors que la première génération de disciples était en train de disparaitre et ces écrits sont donc aussi tributaires des questions ou des difficultés rencontrés par ces communautés naissantes.

"L'obstacle auquel Jésus s'est heurté était que tous ses contemporains avaient la foi, savaient qui était Dieu, quelle était la voie qui y conduisait alors que lui traçait un autre chemin, une autre voie", explique l'auteur. Et on sent déjà poindre à l'horizon le premier malentendu.

Maître ? Serviteur !

Les ambiguïtés, poursuit le théologien, n'ont pas seulement porté sur l'appellation de prophète, que certains attribuaient à Jésus, mais aussi sur les termes Maître et Messie, ainsi que Fils de l'Homme, Fils de Dieu et Fils du Père. Contrairement aux maîtres juifs de l'époque, qui se réfèrent aux commentaires anciens sur les textes sacrés en y ajoutant les leurs, Jésus part directement des Ecritures en les interprétant dans l'aujourd'hui de ses auditeurs. Jésus serait donc bien plus qu'un maître ordinaire, notamment par le pouvoir de sa parole qui rend la vie. Ainsi ses actions et ses dires dépassent largement ce que l'on attend d'un maître à son époque. L'enseignement de Jésus a des conséquences pratiques qui ébranlent les convictions et la compréhension de la Loi par les Juifs et les pharisiens. Pourtant, il arrive que Jésus accepte cette appellation de maître mais dans un tout autre sens. Avec lui, le maître se fait serviteur, jusqu'à laver les pieds de ses disciples.

Renversement des valeurs

Jean-Marie Ploux réalise le même exercice d'analyse pour les autres appellations communément associées à Jésus. Il aborde notamment la question de la dimension politique de la figure de Messie, que Jésus n'a jamais revendiquée. Son action se plaçait bien au-dessus de ces considérations stratégiques. Aussi, les évangiles de Marc, Matthieu et Luc "relate ce qu'il faut bien appeler un formidable et persistant malentendu sur le vocable de Fils de Dieu. Tous y voient ce qu'ils espèrent : le roi davidique qui prendra la tête de la libération d'Israël. Or Jésus aura toujours écarté de lui ce destin", et s'en prendra même au Temple et aux autorités religieuses plutôt qu'à l'occupant romain.

Enfin, pour prendre un dernier exemple, "si le vocable de Fils de l'homme impliquait une dimension divine, Jésus l'a assumé au prix d'un renversement considérable." Comme dit plus haut, le maître s'est fait serviteur, "le Tout-Puissant a abdiqué sa puissance, le Très-Haut s'est manifesté dans le Très-Bas." Telle est l'originalité de la foi chrétienne.

Sophie DELHALLE

Jean-Marie Ploux, "Jésus au-delà des malentendus", Salvator, 2020, 14 euros

 


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