Réalisme et émerveillement caractérisent ce jeune couple de Français, riche de ses complémentarités. Au propre comme au figuré, ils ont longuement cheminé cherchant à s’engager en faveur d’un monde vivable pour tous et cohérent pour eux. Un livre raconte leur conversion écologique, un autre les a inspirés…
En 2015, Arthur et Blandine découvrent, dès sa publication, l’encyclique Laudato si’. Face aux urgences climatiques et écologiques, le pape François invite à prendre soin à la fois de la Terre et des pauvres, tout en louant la beauté de la Création. Ces propos résonnent et conduisent l’ingénieur et la jeune cadre à quitter leurs emplois respectifs. Aujourd’hui, ils sont devenus maraîchers, désireux de créer ensemble le monde qu’ils aiment, respectueux de tout et de tous.
Dans un ouvrage récent intitulé « Et lentement tout bascule » (voir encadré), ils partagent leurs réflexions, leurs inquiétudes, les raisons de leur conversion écologique mais aussi des pistes concrètes d’actions quotidiennes.
Dimanche: A l’instar du basculement provoqué chez vous par Laudato si’, votre ouvrage nous invite à changer nos modes de vie!
Blandine: Mon but premier n’est pas tant d’inspirer notre entourage que de témoigner le beau, le bien et le bon par des petits actes concrets et quotidiens. Notre entourage voit au fur et à mesure combien cela nous rend heureux. C’est l’occasion d’avoir avec nos proches de grandes discussions. Je pense que l’Esprit Saint souffle. Peut-être que, avec ceux que nous avons rencontrés et qui nous inspirent, nous semons des graines autour de nous! Mais je n’ai pas une grande ambition dans ce domaine-là.
Dimanche: En même temps, vous soulignez la responsabilité des plus nantis, en particulier dans nos pays.
Arthur: Pour moi, les personnes les plus riches et les pays les plus développés ont la responsabilité de limiter la casse environnementale. Ils devraient mieux utiliser leur argent et leur position de pouvoir afin d’infléchir le modèle de développement et le rendre le plus harmonieux possible.
Il y a une urgence vitale absolue pour la biosphère et, donc, pour l’espèce humaine. L’habitabilité de la terre est en danger. Le problème, c’est que l’être humain a besoin de temps pour changer. Personnellement, je suis sans cesse confronté à cette tension entre la nécessité de changer rapidement et celle de laisser chacun avancer à son rythme. Quelle stratégie adopter? Jusqu’où peut-on pousser l’être humain à changer plus vite? Et à quel prix?
Dimanche: En effet. Alors que l’état de la planète se dégrade de plus en plus, l’homme prend son temps. On discute, on débat… N’êtes-vous pas parfois pris par le découragement?
Blandine: J’essaie de rester humble sur mon chemin. Le but n’est pas de convertir immédiatement mais avec amour et bienveillance. Prendre le temps d’écouter les gens permet de comprendre quels sont les leviers qui les empêchent d’avancer.
Dimanche: Pour vous, qu’est-ce qui a été le plus dur à abandonner?
Arthur: On a décidé de ne plus prendre l’avion. Or, parfois, j’aimerais découvrir des lieux magnifiques situés à l’autre bout du monde. Une énergie comme le pétrole nous permet de faire des choses que nous estimons normales mais qui ne le sont que depuis peu. En ce qui me concerne, la conscience morale m’aide à ne pas faire usage de cette énergie au-delà du convenable.
Dimanche: Si votre frère se mariait aux Antilles, iriez-vous à son mariage?
Arthur: C’est une très bonne question car elle met le doigt sur l’articulation entre les convictions écologiques et la charité. En fait, c’est possible que je n’y aille pas car les dégâts que cela engendre justifieraient une telle décision. Le fait de prendre l’avion provoque en effet trop de désavantages pour la collectivité, les générations futures, les autres continents.
Blandine: Avant, je pouvais faire preuve d’une certaine insouciance. Avec le recul, je pense que c’était peu ajusté mais je reconnais que c’était aussi reposant… Aujourd’hui, je dois tenter de mettre en place de nouvelles routines… sans tomber dans un extrémisme. Nous nous réinterrogeons au cas par cas. Cela peut avoir un côté pesant.
En fait, j’essaye surtout de ne pas entrer dans la logique automatique: « j’ai envie de quelque chose, je l’achète; je veux partir en vacances, je vais à l’Ile Maurice; j’ai faim, je m’achète un truc tout fait ». Non, aujourd’hui, je mise sur un autre style de vie. Par exemple, cet été on a fait des conserves de tomates et de courgettes. C’est nouveau pour nous et je me réjouis de les manger en hiver. Parfois j’ai l’impression d’être comme ces grand-mères qui ont plein de conserves chez elles et je trouve cela très marrant. Je reconnais toutefois que j’en ai parfois vraiment marre de cuisiner et il nous arrive d’aller acheter une pizza.
Dimanche: Comment aider ceux qui peinent à garder l’espérance face aux combats qui se présentent à l’avenir?
Arthur: Personnellement, cela m’arrive encore de me dire « on ne va jamais s’en sortir ». Ce qui m’aide, c’est de ne pas être seul mais aussi de réaliser des choses concrètes. Travailler la terre par exemple.
Blandine: Même si je suis moins sensible à ce type de « dépression », ce qui m’aide c’est de nous entourer de beau. Cela élève vraiment mon âme et j’ai l’impression de participer à un monde meilleur.
Dimanche: Est-ce par solidarité avec les fragilisés que vous avez changé votre mode de vie?
Blandine: Personnellement, je n’ai pas rencontré les gens pauvres habitant sur d’autres continents et qui souffrent déjà des dégâts causés. En revanche, des documentaires m’ont permis de percevoir leurs difficultés et même leur détresse. Habitant la même planète, je veux m’unir à eux, même si, effectivement, ils ne le savent pas. Cela me permet de me rendre compte que je ne suis pas pour rien sur la Terre. Et, si tout est lié, nous sommes aussi reliés les uns aux autres. Nous avons donc tous une responsabilité et nous portons un amour pour l’autre, même pour celui que l’on ne connaît pas.
Arthur: Il y a plusieurs actes concrets quotidiens – comme prendre une douche courte – qui ont un impact personnel et spirituel fort. C’est en partie cela qui fait changer le monde.
Dimanche: La spiritualité est-elle le moteur de vos actions?
Blandine: La spiritualité chrétienne en particulier nous permet de miser sur un style de vie où la contemplation nous fait voir la profondeur des choses et Dieu comme un créateur.
Arthur: Laudato si’ nous apprend qu’on peut vivre intensément avec peu (§223). Nous pouvons trouver satisfaction dans les rencontres fraternelles, dans le service et dans le déploiement de nos charismes, dans la musique, l’art, le contact avec la nature et la prière. Cette liste d’activités montre qu’elles sont profondément humaines et spirituelles et… très bas carbone.
Dimanche: Cinq ans après sa publication, Laudato si’ a-t-elle assez percolé dans les milieux chrétiens?
Blandine: Cette encyclique peut changer nos vies et est très accessible. Je suis assez attristée d’entendre parfois qu’elle a eu plus d’échos chez les non cathos que chez les cathos. L’Eglise se saisit maintenant du sujet, mais j’aimerais que cela aille plus vite.
Arthur: Ce texte, que je relis souvent, n’a pas pris une ride. Je suis saisi par sa sagesse! Il va pouvoir accompagner des vies pendant plusieurs décennies. Parmi les initiatives heureuses, je pense au label œcuménique « Eglise verte » qui se développe en France et met toutes les paroisses en mouvement. Sur les questions de biodiversité et de réchauffement climatique, j’aimerais que l’Eglise institutionnelle s’aligne sur les décisions prises lors de la Cop21 qui visent à limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Cela me paraît être le minimum syndical! Avec une telle encyclique, l’Eglise peut être exemplaire, prophétique et en avance sur son temps.
Blandine: Laudato si’ crée des ponts entre chrétiens et non chrétiens. Tout est donc lié. Je trouve assez extraordinaire que le pape interpelle tous les habitants de la terre.
Dimanche: Livrer son témoignage dans un livre n’a-t-il pas été trop difficile?
Blandine: Oui, ce fut difficile. On a eu l’impression de faire un don de nous-mêmes. Mais les lecteurs se montrent très bienveillants et encourageants. Cela nous aide car notre choix d’être agriculteurs n’est pas toujours évident.
Propos recueillis par Vincent DELCORPS et Nancy GOETHALS
©Arthur et Blandine de Lassus (DR)