Sur les hauteurs de Wépion, Anne-Claire et Benoît se sont installés en famille dans le domaine de La Pairelle. Le jeune couple cultive avec plaisir un immense potager, aux couleurs des saisons. La gestion du potager est essentiellement manuelle, avec un volet social conséquent.
Grâce à une année sabbatique de découverte du travail de la terre, de l’agriculture et du maraîchage dans des fermes en France et en Géorgie, Anne-Claire Orban et Benoît Kervyn se sont familiarisés avec un univers loin de leur environnement habituel. A leur retour en Belgique, s’est alors posée la question de « concilier ce bagage en lien avec la nature et une envie de travailler dans le social, de créer du lien ». En effet, le besoin d’une rupture s’était imposé de manière radicale. Il s’agissait de trouver une autre voie, différente de celle d’avant, dans la ville.
A l’écoute
Depuis bientôt un an, le travail se poursuit lors de week-ends ou en matinée (le samedi, par exemple) consacrés au potager. Le public accueilli est varié, avec des sympathisants de La Pairelle, des retraitants qui font une pause, des amis ou encore des demandeurs d’asile des centres de la Croix-Rouge. « Il y a une mixité vraiment intéressante. Le travail de la terre relie les gens, au-delà des barrières de langue ou de culture », se réjouit Benoît. « Il faut être nombreux si l’on veut des résultats extraordinaires », précise Anne-Claire. « Ici, on s’adapte aux gens, aux énergies et aux envies autour de nous. Notre but n’est pas d’avoir un espace parfait, mais d’avancer ensemble. Cela reste ouvert aux propositions de chacun. Si la tâche ne convient pas, les gens ne vont pas être ouverts ni sereins. » Gratifiant, le projet collaboratif entend valoriser les aptitudes de chacun. Car, Anne-Claire et Benoît en sont convaincus, chacun a des capacités à offrir et à déployer: entretien des outils, bricolage, taille, désherbage, plantation… Le défi consiste donc à trouver une tâche selon le profil des participants. Certains sont en quête d’une activité physique intense et aspirent à se vider la tête de leurs soucis, d’autres viennent pour grappiller un moment paisible, hors de leurs habitudes. Seul ou en groupe, les attentes sont différentes et le travail avec les mains révélateur du tempérament. « Lorsque nous rencontrons un retraitant ou une personne prête à nous aider, le plus important est de repérer son besoin. Certains veulent bêcher sans réfléchir ou retourner la terre, tandis que d’autres sont prêts à entreprendre une tâche plus minutieuse. » A aucun moment, les deux hôtes ne sont dans le jugement. Le fait de ne pas être inquiétés par le rendement du potager favorise une telle souplesse. Les récoltes sont, ensuite, réparties entre les participants, le couple et le centre La Pairelle, qui prépare des conserves et des confitures pour les retraitants.
L’attention portée aux plus fragiles
Ouvert aux habitants des environs et aux réfugiés des centres de la Croix-Rouge de la région, le potager sème à tous vents. Sensibles aux préoccupations des plus démunis, avec une pratique dans l’intergénérationnel pour elle et une expérience dans les camps de réfugiés en Afrique pour lui, tous deux partagent un attrait pour l’accueil de l’autre. Partant du constat que le désœuvrement est fréquent dans les centres, ils proposent aux résidents des ateliers de jardinage. « Ici, les gens font corps avec un projet plus global qui a du sens et est ancré dans le présent. Il y a un gros manque de sens chez ceux qui sont dans l’incertitude du lendemain. » Indirectement, l’immersion dans la nature favorise un partage. « C’est toujours riche quand nous faisons le lien avec une compétence que le migrant a déjà. Or celles-ci sont peu mises en valeur. L’étiquette de migrant ou de réfugié leur colle à la peau plus que n’importe quelle autre compétence qu’ils pourraient mettre en avant. Nous sommes un groupe qui essaie juste de faire pousser, ensemble, quelque chose dans la terre. » Cuisine, construction et aménagement d’un espace de détente avec des bancs, restauration de la serre… « Cela rejoint notre envie de trouver une place pour chacun », estime Benoît. « Quand ils arrivent en Belgique, il y a une forme de dépersonnalisation. Ce sont les migrants. Leurs diplômes et leur expérience de travail ne sont pas reconnus. Alors, quand nous créons des ponts, cela permet de valoriser leur expérience de vie », raconte Anne-Claire. Les partages d’expérience de vie ne garantissent pas la cohésion. « Par le discours, les gens se positionnent. Avec le projet potager, nous voulons créer la rencontre, de l’empathie par ‘le faire ensemble’ et pas le vivre ensemble ou le parler ensemble. Cela a plus d’impact pour faire bouger les stéréotypes que n’importe quel discours ou article en rapport avec la migration ou les primo-arrivants », estime Anne-Claire.
L’humilité de la démarche
Les deux amoureux du potager ne cessent d’apprendre sur le terrain grâce à leurs observations, leurs lectures et surtout le partage d’expérience des habitués ou des visiteurs occasionnels. « Nous n’avons pas une posture de savant; l’apprentissage est très riche », relève Benoît. Les visiteurs apportent leurs connaissances, tandis que la nature impose son rythme et induit l’emplacement de certaines plantations, par exemple. « Il y a un apprentissage qui vient avec le geste, difficile à décrire avec la parole », constate Benoît. Une forme d’humilité prévaut dans leur démarche centrée sur le respect de la terre. « Nous ne pouvons pas contrôler le monde qui nous entoure. Nous laissons la nature nous apprendre par elle-même où il faut planter, ce qui fonctionne ou pas. » La curiosité est un moteur de leur approche. La présence des animaux aux alentours du potager « dynamise et apaise la communauté, crée du lien avec les voisins et rassemble », se réjouit Anne-Claire. En contact régulier avec la communauté de La Pairelle, ils partagent des idées ou des soirées autour de jeux de société.
Un effet boule de neige
Cette démarche d’un retour aux sources est perçue favorablement par leurs amis, même si l’étonnement sourd parfois. « Certains nous ont vu comme des rêveurs et beaucoup comme des chanceux d’être dans un cadre qui permet ce genre de projet », reconnaît Benoît. Au-delà du potager, le couple a adopté un mode de vie, qu’il souhaite partager avec son fils. « Nous avons envie que Gustave se rende compte d’où viennent les choses. Comment élever une conscience écologique si on n’a pas la connaissance de l’origine des choses et du temps nécessaire? », s’interroge Anne-Claire. L’alimentation est un enjeu crucial auprès des jeunes. La prise de conscience de la non-immédiateté des cycles et de la lenteur « nous pousse à ralentir dans le rythme de vie ». Du coup, le couple l’a mis en pratique en réduisant son temps de travail salarié. Tous deux consomment différemment, avec une mobilité douce qui exige de planifier davantage les déplacements, puisque sans véhicule personnel. Privilégiant la nourriture de qualité, ils achètent mieux et moins. Il en va de même pour leur habillement, pour lequel ils préfèrent choisir des vêtements « plus respectueux des humains et de l’environnement ». Le lien à la terre est vraiment devenu leur priorité, de laquelle découle la prise de décisions concrètes. « En étant immergé dans cette démarche, nous voyons encore plus d’opportunités qui apparaissent », constate Benoît. L’ancrage local s’impose. « Ce projet donne une perspective de réseau namurois, très riche. C’est un partage d’initiatives. » Et Anne-Claire de compléter: « nous favorisons les liens entre des personnes d’horizons très différents. Nous faisons aussi partie d’un mouvement avec les différents centres jésuites. Notre projet potager fait écho au mouvement des églises vertes… Nous sommes au carrefour de différents domaines de la vie. » Entourés et à l’écoute de personnes intéressées par leur projet, ils sont convaincus que celui-ci ne peut que s’enrichir.
Angélique TASIAUX